C’est l’hypothèse
d’un glissement de l’attention de nos
esprits créatifs, de l’exploration du monde vers l’exploration de l’humain.
Pour en
prendre conscience, il ne convient sans doute pas de se placer sur un plan trop
rationnel ou trop structuré. Car la plupart des cercles académiques
s’accrocheront à l’idée, avec bien des évidences incontestables, que les
grandes conquêtes de l’espace, de la matière, de l’intelligence,
de la santé, etc, continuent à occuper des générations de chercheurs
passionnés. Et c’est vrai. Mais on ressent néanmoins quelque chose comme … un
glissement.
Il y a des
signes avant-coureurs. Par exemple, le déclin régulier depuis environ 2
décennies, au moins pour les régions les plus développées, de la proportion des
nouveaux inscrits dans les facultés scientifiques et technologiques, par
opposition à la popularité renforcée des sections langues-commerce-droit-arts
du spectacle (ou apparentées), signalant l’intérêt grandissant pour tout ce qui
est de l’ordre du relationnel.
Même notre
modeste petit exercice de Table Ronde sans prétention commence à suggérer une
tension entre ces aventures parallèles, qui vont se situer dans les sciences
dures, les sciences molles ou, de manière confuse, au coeur des apprentissages
qui relèvent directement de la connaissance de l’autre. N’en faisons pas des
généralités, mais reconnaissons néanmoins que, balayant autour de nous le vaste
champ de la créativité, ce sont nos interlocuteurs des sciences dures qui se
montrent aujourd’hui les plus réticents à se considérer encore des aventuriers
de la connaissance; même s’ils avouent connaître indubitablement les mêmes
passions, et des émerveillements de même nature que tous les autres passeurs
d’horizons. Ils ont plus de mal que leurs anciens à se mettre en scène dans
leurs habits de pionniers, et ne sont pas spontanément demandeurs de
communication avec leurs semblables. Ils sont plus couramment pris de doutes
sur leur rôle social, quand bien même leurs conquêtes continueraient à inspirer
le respect.
Au
contraire, notre exercice à l’écoute des jeunes en mode créatif nous a révélé de
bien belles surprises, sous la forme d’adhésions inattendues. Tout se passe
comme si l’esprit créatif devenait apparemment plus porteur d’espoir dans la
conscience d’un anthropologue, d’un animateur culturel ou social, d’un
historien, d’un romancier, en écho à ces lieux d’apprentissage s’adressant directement
à l’humain. Pour eux, le laboratoire, c’est la ressource humaine et ses
constructions sociales et culturelles (entendant la science elle-même comme une
manifestation culturelle, au même titre que les arts et les lettres). Ces
témoins-là, aux frontières de l’humain, nous montrent par leur soif d’expériences
et de confrontations intellectuelles être plus prompts à se porter aux
premières lignes d’une autre vision du progrès.
Il nous
tarde d’entendre les réactions de nos protagonistes dévoués aux sciences dures,
parce qu’ils détiennent pour longtemps encore la clé d’une meilleure gestion de
notre milieu, mais souffrent apparemment d’une timidité à croiser leurs
connaissances spécialisées avec les autres composantes civilisationnelles, où fermente
l’imagination collective par laquelle nous faisons société.
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