Un titre attrayant, d'un nouvel essai commis par
Roger-Pol Droit (Ed. Odile Jacob, 2017), qui illustre la force de l'état
juvénile pour prendre pied dans le vaste monde. Ce qui devrait nous frapper le
plus dès l'instant où l'on se plonge dans cet ouvrage, c'est sans doute le
vocabulaire, les tournures auxquelles l'auteur a recours pour décrire ce qui
fait l'originalité de la condition prémature, et son côté le plus précieux. Cela
nous concerne immédiatement puisque s'y retrouvent des termes et des expressions
que nous avons employés abondamment pour essayer de circonscrire le tempérament
créatif du jeune adulte. Exemples?
Et si on préférait les
écarts aux truismes de l'adulte? Roger-Pol Droit évoque le regard qui s'étonne, le
mutisme sur les expériences visuelles, la puissance des émotions. Il met en
valeur l'esprit de jeu, et va jusqu'à proposer des exercices de mobilité, voire
d'illogisme pour aider le lecteur à sortir du rôle qu'il pense lui avoir été
attribué par ses semblables. Il décrit le déséquilibre bienfaiteur que
permettent les écarts dont l'enfant est friand, et dont le paradigme le plus
frappant serait sans doute l'apprentissage de la marche (passer par une brève
perte d'équilibre, le temps de déplacer son polygone de sustentation d'un pied
à l'autre). Le déséquilibre, comme le désencombrement, sont des instruments de
relance contre les pesanteurs du vieillissement précoce.
Encore faut-il avoir
rêvé ... Bien
entendu, l'auteur transpose superbement ses observations au comportement
attendu d'un adulte. Il n'hésite pas à dire ce que nous-mêmes, ici, voudrions
illustrer par la bouche de nos jeunes témoins. La fraîcheur, l'indétermination,
la curiosité, l'imagination, l'intelligence émotionnelle et toutes ces qualités
de la petite enfance peuvent revivre chez un adulte avec des effets
spectaculaires. La suprématie de l'imagination sur le langage exprimé (disposer de grilles de lecture infiniment
plus étendues que ne le permettraient les propriétés sémantiques de la langue)
est une force que mobilise volontiers le mathématicien pour ses calculs, le
poète pour ses illuminations, le chercheur lié à ses investigations,
l'explorateurs dans ses expéditions, l'écrivain dans son univers romanesque, et
même le politicien capable de figurer un avenir commun. Décidément, la création
doit avoir quelque chose à faire avec l'esprit d'enfance.
Dans
"ingénuité", il y a le mot: génie. La réponse du scientifique est connue. Pardonnez la
facilité, mais il n'est guère possible d'échapper à l'évocation de la
personnalité exemplaire d'Einstein. C'est un autre très bon livre que celui
d'Etienne Klein à propos du pays qu'habitait Einstein (Ed. Actes Sud, 2016).
Pour faire court, l'auteur rappelle dans sa conclusion les traits de caractère
les plus pertinents de ce savant par excellence, qui sont en étroite consonance
avec ceux de l'esprit d'enfance selon Roger-Pol Droit. Il est question de:
-
sa propension à toujours mettre un pas de côté, même
dans le commun de l'existence;
-
sa sensibilité à toujours éprouver le mystère du
monde; et ...
-
son aisance à pratiquer la pensée comme une
intelligence non verbale, rappelant le mutisme des enfants habités par des
visions intérieures qui semblent impénétrables à l'adulte.
Je laisse à d'autres le soin de convoquer les
écrivains et artistes innombrables qui, de la même manière que les
scientifiques, ont confié leur génie à l'enfant qui cherchait à revivre en eux.
C'est d'une telle évidence ... Pensons au Petit Prince de Saint-Exupéry.
Nos
panellistes ont bien d'autres questions concernant les chemins et les modalités
par lesquels ils mobilisent leur propre créativité latente. Mais laissons-leur
déjà celle-ci: peuvent-ils témoigner, dans leurs univers particuliers, d'un
quelconque rôle qu'aurait pu jouer l'esprit d'enfance et son ingénuité? Dans
ingénuité, il y a ... génie.
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