Partages de vies ... donc d'en-vies
(Rabbi Yaakov Lacan)
Je vous annonçais ces deux rencontres, dans l'article du 27
avril ...
D'abord, Hubert Reeves: "Des souvenirs de cours qui m'ont plongé dans une véritable exaltation
... je ressens une intense gratitude pour les enseignants qui m'ont éclairé ...
je voudrais être comme lui et faire ce qu'il fait ... mes parents m'ont offert
un livre sur les microbes ... grâce à la connivence d'un enseignant, j'ai eu la
permission de revenir après les heures de cours ... La puissance des
instruments d'optique pour observer le monde; la puissance des mathématiques
pour le décrire .... les mathématiques montraient leur ancrage dans la nature,
etc..." (Intimes convictions, Editions Paroles d'aube, 1997).
Ensuite, Philippe van Parijs: "Philosophe accueilli parmi les économistes, penseur continental
d’orientation anglo-saxonne, universitaire dont la formation doit plus à
l’auto-stop qu’aux auditoires et qui, aujourd’hui encore, étoufferait d’être
confiné dans sa tour d’ivoire, etc ..." (Remise du Prix Franqui,
2001).
Il nous parle, ce contraste entre Hubert Reeves, le
scientifique (l'émerveillement devant ce
qui est, et ce qui reste caché, l'emboîtement des infinis, les lointains, le
réel qui interroge, l'image du réel renvoyée à l'observateur, la modélisation,
l'inépuisable nature) et Philippe Van Parijs le philosophe (l'émerveillement devant ce qui s'oppose ou
ce qui s'assemble, le tout et les parties, les niveaux d'organisation, les
communautés, le milieu, l'emprise de l'observateur sur le réel, l'inépuisable
culture). N'avons-nous pas là diverses conceptions d'un même émerveillement,
à travers ces deux regards différents? Et toujours sous-jacente: la soif
inextinguible.
Chez le premier, la soif communiquée dans les auditoires,
mais aussi les compagnonnages
intimes. Modèle de l'empreinte paternelle: émancipation au berceau
familial, auprès des intimes, puis à l'école et par les sources académiques.
Filiations directes et surtout de type vertical.
Chez le second, la soif renouvelée sur les parcours
d'auto-stop. Modèle de l'empreinte maternelle: émancipation fondatrice au
contact du milieu et des événements. Filiations de type placentaire, nourrissage
capillaire, à forte dimension horizontale. "La vérité ne se trouve pas par preuve, mais par exploration"
(Simone Weil).
Les deux modèles s'interpénètrent évidemment. Pour dire
simplement que le moteur du désir n'est pas enfermé dans une quelconque sphère
normative, et que chacun peut s'y retrouver avec sa sensibilité propre. Le
peuple des assoiffés embarque joyeusement les chercheurs de toutes tendances,
comme les artistes ou les innovateurs sociaux, confondant tous les milieux créatifs.
S'il y a quelque chose à apprendre des champions de la pensée
créative, pas seulement Hubert Reeves ou Philippe van Parijs, mais tant
d'autres, ce n'est pas tant leur capacité à devancer le genre humain (ce n'est
pas donné à tout le monde) que plutôt les conditions qui les y ont prédisposés.
Or, ces conditions sont en principe disponibles pour tous, professionnels et
amateurs, sous réserve que la soif puisse toujours se manifester.
C'est aussi le point de départ d'un questionnement que nous pouvons adresser à
nos jeunes créatifs. Donc, retour à notre Table Ronde, avec ces questions
actuelles:
- En-vies de vie
... Nos jeunes ont-ils soif d'un au-delà d'eux-mêmes? Mais d'où leur vient
cette soif? Cette soif prend-elle différentes tonalités avec l'avancée en âge?
- Parcours initial
... La voie de formation et d'apprentissage qu'ils ont suivie a-t-elle été
subie ou choisie? Répond-elle à leur soif, ou ravive-t-elle cette soif autrement,
dans de nouvelles directions?
- Prendre du plaisir
... Sont-ils davantage "shootés" à l'auditoire (cf. Hubert Reeves) ou
à "l'auto-stop" (cf. Philippe van Parijs)? C'était l'article du 27 avril.
Mais dans tous les cas, la même disponibilité chez eux à l'émerveillement.
- Evénements
fondateurs ... Comment le jeu des rencontres humaines entretient-il leur
soif? Songent-ils à des rencontres fondatrices de type paternel (transcendantes)
ou aussi de type maternel et placentaire (immanentes)?
- Créativité en
plénitude, ou schizophrénie ... Comment cette soif (ses exigences, ses visions) les
équilibre-t-elle par rapport à leurs positions citoyennes, sociales, amicales
et familiales? Un engagement créatif est-il compatible avec l'unité des
différentes personnalités en soi?
- Découragement
... A l'inverse, quelles circonstances au travail ou dans la collectivité ont
pu éventuellement dénaturer ou décevoir la soif du jeune créatif? La tentation
de l'indifférence parvient-t-elle aussi à empoisonner les meilleurs esprits ? Comment désamorcer pareil détournement d'énergies ?
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