Voilà quel
est l'aiguillon qui pousse Anabelle à donner le meilleur d'elle-même. Le regard
est la clé. Tout ce qui s'offre à la vue est offert. C'est gratuit, pourquoi
s'en priver, pourquoi s'engluer la vue dans le cliché et la familiarité quand
on sait qu'il suffit d'écarter un peu le voile? Chez nos amis chercheurs, le
regard est leur premier instrument. Il est exercé par un long écolage pour
faire sienne une panoplie de bonnes pratiques (bibliographie, modélisation, protocoles,
essai-échec, répétabilité, réfutation par les pairs, etc), sur lesquelles
asseoir l'originalité et la crédibilité de ses conclusions. Le regard
d'Anabelle, selon ses propres mots, c'est l'attention constante à ce qui peut
échapper aux autres, c'est l'importance du détail qui passerait inaperçu, c'est
le langage des signaux faibles.
On connaît le regard qui tue ... voici le
regard qui crée
Il est vrai
que le paysage d'Anabelle est loin de rappeler le décor de nos jours. Il plonge
dans l'infiniment petit. Il règle tout simplement la vie de nos chromosomes. Le
Prix Nobel de médecine de 2009 avait révélé au grand public l'importance des
télomères, ces terminaisons chromosomiques dont la détérioration accompagne
inexorablement le vieillissement cellulaire, et de la télomérase, l'enzyme
capable de régénérer les télomères.
La même télomérase peut aussi être accidentèlement suractivée dans un
processus qui aboutit à la prolifération cancéreuse. Anabelle dirige une équipe
de recherche qui se penche sur un mécanisme alternatif de maintien des
télomères, capable de jouer un rôle dans le passage à l'état tumoral, notamment dans les cancers
pédiatriques de l'os ou du cerveau.
Anabelle
met son équipe sur deux voies parallèles:
- la
recherche de molécules susceptibles d'empêcher le maintien des télomères par ce
mécanisme alternatif (nécessitant une
collaboration avec des chimistes et le don de cellules de la part des patients);
- l'élucidation
des voies biologiques qui permettent aux sujets s'adonnant à des activités
physiques régulières de voir leurs télomères protégés au-delà des évolutions constatées chez les
sédentaires (nécessitant une
collaboration avec des kinésithérapeutes et le don de biopsies de la part de
volontaires).
On croisait le fer ... ici, on préfère croiser
les regards
On constate
d'emblée combien le chercheur doit se mouvoir dans un champ pluridisciplinaire,
et conjuguer les apports d'autres spécialistes (ici: des chimistes, des cliniciens, des kinésithérapeutes, etc) pour
apporter leur expertise autour des avancées circonscrites aux conditions du
laboratoire chef de file. Tout ça pour dire qu'une équipe de recherche s'appuie
sur des échantillonnages et dépose des résultats qui ont vocation à faire sens
au-delà des conditions du laboratoire leader. Et qui, de ce fait, mettent en
mouvement des compétences extérieures à des moments déterminés. C'est une
analogie avec l'oeuvre d'art, si l'on veut bien adopter une perspective plus
large. De même que l'oeuvre d'un artiste finit par lui échapper et se trouve
investie du sens que veulent bien lui donner ses admirateurs, les percées
scientifiques ont forcément des résonances au-delà de leur périmètre
expérimental, et concernent tôt ou tard des constellations d'autres chercheurs,
qui se trouvent appartenir à des univers emboîtés.
A cet égard,
il faut aussi considérer l'architecture organique du travail en laboratoire.
Pour traduire en expériences finalisées la stratégie globale de recherche
d'Anabelle, 5 collaborateurs sont à la tâche, qui viennent d'horizons les plus
divers (nationalités belge, française,
grecque, italienne et tchèque). En effet, l'économie des circuits courts,
du commerce de proximité et de la préférence nationale qui jouit d'un capital
de sympathie dans les opinions publiques n'a pas sa place dans les milieux de
la créativité, qu'elle soit scientifique ou artistique. Une équipe attelée à
des investigations pointues, sous la pression d'une concurrence internationale
de tous les instants, ne pourra faire sa place que si elle recrute à un moment
donné les collaborateurs les plus finement ajustés à leur tâche, sans égard
pour leurs passeports.
En dernier
ressort, l'économie de la recherche ne circule qu'à travers des réseaux
connectés internationalement. Pour Anabelle, cela représente en aval la
conduite de son groupe multicolore, mais aussi en amont le suivi des données
pertinentes produites dans 20 à 30 laboratoires capables de concourir au même
niveau à l'échelle planétaire.
Aujourd'hui,
Anabelle vous laisse un message simple, qui est le fruit de son expérience en
matière de créativité scientifique. Davantage que la conjugaison d'une
multiplicité d'origines qui est devenu une évidence dans le montage de projets,
c'est la conjugaison des héritages de grands maîtres (les vrais patrons de la recherche au sens de l'originalité absolue de
leur mode de pensée et de leurs méthodes d'investigation) qui permet
d'optimiser une équipe désireuse d'émerger. Voyez-vous, c'est un peu comme dans
un autre domaine artistique: celui de la musique. On ne fait de la bonne
musique qu'avec d'excellents interprètes. Mais peu importe la nationalité de
ceux-ci, pourvu qu'ils aient été formés par tel ou tel grand maître qui aura
laissé une empreinte indélébile.
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