Dans
3 semaines, la Table Ronde sera ouverte et produira ses effets. Chacun s'y
prépare, en essayant simplement de faire la vérité en soi. Nos panélistes n'ont
pas de rôle à jouer si ce n'est leur propre rôle, puisqu'ils n'auront pas de
meilleur argument que celui consistant à partager un peu du secret de leurs
engouements.
· Anabelle m'a convaincu de
l'importance de la fréquentation des maîtres, auprès de qui chacun voudrait
pouvoir s'ouvrir l'esprit. Davantage qu'un apprentissage exclusif, elle
valorise les enchaînements d'apprentissages par l'écoute de plusieurs maîtres
qu'il conviendrait d'aller chercher, afin de partager par tranches de vie leurs
univers particuliers, leurs milieux académique et humain, leurs paysages et
leurs décors. Elle me fait penser
à cette autre personnalité inventive, Fabienne Verdier peintre-calligraphe, qui
est partie en Chine pour solliciter les enseignements d'un vieux lettré, et qui
a passé des mois entiers à glisser ses ébauches et ses brouillons sous sa porte
jusqu'à ce que celui-ci daigne la faire entrer.
Mais
Anabelle m'a fait aussi connaître d'autres aiguillons de sa pulsion créative. Pour
elle, rien ne semble compter autant que le regard, c'est-à-dire l'attention, la
capacité
à déchiffrer les apparences, l'écoute des signaux faibles. Ensuite, sa réponse
à une telle imprégnation du réel passe par toute la rigueur de la méthode scientifique,
où l'on retrouve des points communs avec Flora qui, quant à elle, m'a communiqué
semblablement sa confiance dans le doute et son recours incessant à
l'esprit critique.
· Flora, justement, se singularise par
une curiosité à toute épreuve, une soif de découvrir et d'expérimenter. Elle
est mue par un indéniable amour de la diversité, de la nouveauté, de
l'étrangeté qui constituent son puits de connaissances. Elle m'a étonné par sa
vision réunifiée du monde, où la biologie (la nature) et l'humain (la culture)
ne seraient qu'une manifestation unique des forces de la vie. D'où son appétit
exceptionnel de rencontres et sa recherche d'une pluralité des regards. Elle a
su me décrire les effets déterminants des écarts, des ruptures, des imprévus,
de certains face-à-face capables de modeler tous les accents du désir et les
élans de la volonté individuelle.
· Fabrice, notre benjamin, est à l'âge
des doutes et des essais. Il sent mieux que quiconque la valeur de
l'indétermination, donc de la condition prémature. Il manifeste une émouvante soif
d'être, mais cherche à ne pas se laisser déjà capturer par les formatages
excessifs auxquels conduisent souvent les filières professionnelles. Il incarne
à mes yeux le respect (presque de nature anthropologique) des potentialités
inexplorées de l'humain, le besoin chez tout individu de ne pas étouffer l'artiste
qui sommeille. Justement, artiste il l'est aussi, puisqu'il démontre par ses
engouements une capacité - une joie diraient certains - à appréhender avec égal
bonheur les complexités de la chimie des matériaux au plus haut niveau scientifique,
et l'écriture musicale pourvoyeuse d'émotions esthétiques .
· Arnaud partage avec Fabrice cette
qualité enviée d'être à la fois chercheur et artiste. A la musique de Fabrice,
il répond par ses talents graphiques et plastiques. Et aux sciences naturelles
de Fabrice, il oppose son adhésion aux sciences humaines et sociales. Sa
particularité dans le groupe est que ses recherches n'ont rien d'académique
mais se situent dans le monde réel. En réalité, il est davantage un
expérimentateur des techniques et pratiques de l'expression publique, de la
décision collective et du compromis, des échanges éducatifs et culturels. Arnaud
entend les plaintes du monde contemporain, et particulièrement celles de la
ville cosmopolite, pour y trouver sa grande motivation à susciter de
l'innovation sociale. Ce qui m'émeut chez lui, c'est qu'il est animé du souci
de rendre toute la collectivité créative, plutôt que de privilégier sa propre image.
· Sébastien pourrait se reconnaître en
Arnaud, lui qui s'est également formé aux sciences sociales et s'est toujours
chargé du souci de l'humanité. Sa marque est la confiance qu'il met dans le
déplacement, le dépouillement, le renversement, ce qui me rappelle l'adage si
bien défendu par le prospectiviste Thierry Gaudin, selon lequel l'innovation
procèderait le plus souvent de personnes déplacées. A son programme depuis des
années, il a mis la marche à pied. Mais pas n'importe laquelle : il propose la
marche trans-culturelle. A pied à Jérusalem, il l'a fait, et ses continuateurs
sont désormais en marche d'Ostende à Odessa. Pas pour la performance, mais très
exactement pour que se répète de jour en jour le miracle de la rencontre. Bien
sûr, Sébastien ne pouvait se borner à l'épopée, et son projet s'est donc commué
en un patient labeur de restauration du tissu social dans la ville, par le
biais de "tables de dialogue" inter-culturelles.
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