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31/01/2017

Les "savanturiers"

D'emblée, je fais crédit au Museum National d'Histoire Naturelle d'avoir inventé ce néologisme et à l'Année 2016/17 de l'Aventure Scientifique instaurée par l'université catholique de Louvain à Louvain-la-Neuve d'en avoir fait un très bon titre (ouvrage disponible). Donc, je m'empresse de le leur emprunter, tant il convient à notre démonstration. Mais je l'utilise avec un léger glissement de sens, bien intentionnel comme vous allez le voir.

En fait, le MNHN fait allusion aux explorateurs de tous poils qui, depuis des siècles, sont allés dans tous les environnements extrêmes pour y faire des observations inédites et des collectes d'échantillons, au bénéfice de tous les grands inventaires du matériel vivant. Pour notre propos ici, le savanturier n'est pas seulement la personne qui se projette vers une nouvelle "terra incognita", celle qui laisse un trou béant sur les cartes des atlas géographiques des siècles passés. C'est plus généralement la métaphore de l'explorateur, appliquée au chercheur de pointe dans l'exercice de tous ses moyens.
En effet, notre postulat est que le chercheur qui laisse se déployer toute sa pensée spéculative devient un aventurier intellectuel, qui largue rapidement toutes ses amarres socio-culturelles, et qui franchit allégrement l'équateur de ses représentations académiques pour aller voir de préférence ce que le commun des mortels ne voit pas.

Comme il ne s'agit pas de théories oiseuses mais bien d'aventures humaines en cours, prenons un cas parmi d'autres. Les jeunes chercheurs hébergés par ce blog vous prouveront à leur tour qu'ils sont eux aussi capables de tels voyages de la pensée. Rien de spécial au départ chez Chris Bowler. Il a connu comme tant d'autres l'université à Warwick, et y a fait ses premiers pas dans la recherche scientifique. Un bon élève, dirait-on, mais jeune fou parmi les jeunes fous de son époque.

Chris se plonge dans les mécanismes qui sous-tendent la sensibilité à la lumière chez les plantes, et s'ouvre alors aux technologies biomoléculaires encore balbutiantes en ces temps-là (années 80).

L'Europe étant à l'époque à peine étourdie par la toute nouvelle libre circulation de ses citoyens, et très ouverte aux échanges culturels et scientifiques, voilà Chris embarqué dans un programme le destinant à faire ses preuves auprès de quelques personnalités de la science en Belgique, puis aux USA. Le voilà pourvu en quelques années de compétences incroyables en biologie moléculaire et technologies de l'ADN recombinant.

Mais Chris ne se satisfait pas de cette jouissance du chercheur au pinacle de sa discipline. Il est incité à emprunter d'autres voies. Ce sont les chemins broussailleux qui l'attirent davantage que les allées dégagées. Survient en 1994 l'opportunité de monter un nouveau laboratoire à l'autre extrémité de l'Europe, pour porter son savoir faire sur des espèces marines aussi inconnues qu'elles sont répandues dans les océans : les diatomées. Aucun précédent dans sa carrière débutante ? Qu'à cela ne tienne, le voici responsable d'un nouveau laboratoire à la Station de Zoologie marine de Naples.

Croyez-vous qu'un chercheur en biologie moléculaire allait se complaire à ne connaître des mécanismes du vivant que les images microscopiques et les profils d'ADN dont son laboratoire est un pourvoyeur industriel ? Eh, bien: Non ! Chris se laisse happer par le grand écart entre l'infiniment petit et l'infiniment grand. C'est la vision globale de la diversité et des rôles joués par les diatomées dans les océans du globe qui le taraude, et le conduit à prendre la responsabilité de la coordination scientifique de l'expédition TARA-OCEANS, l'aventure d'un voilier et de son remuant équipage (200 jeunes, 45 nationalités), éperdument amoureux de la planète, qui feront parler d'eux d'une extrémité à l'autre de la terre.

Entre temps, Chris vit pleinement sa vie, fonde une famille anglo-italienne à partir d'une rencontre new-yorkaise, qui le détermina à son installation subséquente à l'ombre du Vésuve, avant de le transporter (finalement) auprès des instances académiques de l'Ecole Normale Supérieur de la Rue d'Ulm (Paris), où il partage son temps entre enseignement, recherche et rencontre du public. Car la rencontre du public ne rechigne pas un jeune chercheur allumé ... elle a toujours été un élément profond et inavoué de sa motivation, dès sa sortie d'université. Parler naturellement et simplement, comme dans la confidence, de choses étonnamment compliquées, c'est là qu'on reconnaît les grands esprits. 

Diriez-vous que Chris est un chercheur anglais ? Un biologiste moléculaire ? Un prof ? Un polyglotte ? Un naturaliste ? Un globe-trotter ? Un émigré ? Un père de famille ? Un pote ? Un dilettante ? Un amoureux de la mer ? Vous m'aurez compris: il est, en quelque sorte, l'icône du savanturier. Et son aventure n'est certes pas équivalente à un safari-recherche. Elle s'enracine dans un goût insatiable de décentrement intellectuel, une curiosité à toute épreuve, et quelque chose d'impalpable qui s'apparente à l'amour inconditionnel de la vie. Qualités qui sont données à tous les chercheurs honnêtes, mais que certains parviennent à illustrer avec plus de bonheur. C'est aussi le bonheur communicatif de nos jeunes chercheurs, que vous allez connaître à l'ombre de notre site.

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