Feuille de route : notre choix provisoire de
questions sur le contexte créatif
Ces questions sont optionnelles, et ne prétendent pas
faire le tour de toutes les composantes de la formation individuelle à la
créativité. Comment fonctionne un esprit créatif ? La créativité dans la
recherche est-elle de l'ordre de l'inné ou de l'acquis? Existe-t-il des
comportements créatifs, des moments créatifs? La créativité est-elle une valeur
dans nos sociétés? Plutôt que d'en faire un discours académique, ne serait-ce
pas l'occasion de laisser nos jeunes chercheurs, ceux qui reviennent de la
première ligne du front, nous conter leur façon d'apprivoiser l'énergie
créative. Leurs histoires parleront par elles-mêmes.
1.
Nouvelles appartenances en réseaux : Avec vos habitudes de participation dans des projets sans frontières, avez-vous conscience de bénéficier d’une
‘famille élargie’, constituée (peut-être de manière simplement opportuniste)
d'acteurs disséminés dans les implantations partenaires d'une même expérience ? Cette ‘famille élargie’ commence-t-elle à créer ses habitudes
internes de convivialité dans la mixité ? Réalité pour vous de la notion
de "recherche sans murs" si vous êtes scientifique, ou de "délibérations en cercles concentriques" si vous êtes un acteur social, ou "d'affinités littéraires/esthétiques/existentielles" si vous êtes un auteur?
2.
Fonctionnement des réseaux virtuels : Compte tenu des nouveaux moyens de communication,
comment échangez-vous sur base régulière, ou dans des circonstances provoquées,
avec les autres partenaires entrant dans vos
réseaux (moyens techniques de communication, plates-formes, nature
et fréquences des échanges à distance, formats d'expression, fonctions de l'image et de l'écrit, tyrannie du buzz ou mise en récit, etc) ?
3.
Impact des réseaux virtuels : Comment se répercutent sur vos travaux les
interactions avec ceux qui collaborent ou pourraient collaborer avec vous, par
delà les frontières disciplinaires, institutionnelles et/ou géographiques ?
Y a-t-il concurrence entre la "fraternité" des réseaux et la
"paternité" des travaux ? Entre l'instantanéité des réseaux connectés (temps court) et le renouvellement des connaissances et des bonnes pratiques (temps long).
4. Métissage
institutionnel : Vos propres équipes, ou vos partenaires naturels dans une configuration moins encadrée, ne sont-ils pas de plus en plus constitués d'une constellation de
nationalités différentes in situ ? L'internationalisation de l'humain
aurait-elle gagné vos lieux de travail ? Votre
rapport à la performance et à l'efficacité, éventuellement votre propre réalisation dans le travail, se ressentent-ils de la cohabitation avec des identités
multiples ?
5. Sérendipité : Par un regard rétrospectif sur votre parcours, si
vous considérez vos succès et vos échecs au cours du cheminement paradoxal de
vos travaux, comment évaluez-vous la part de la surprise, de l’inattendu, de l'improvisation, du
choc des idées, voire d'une erreur, sous l'emprise d'un environnement humain changeant et interactif ?
6.
Inconfort de l'altérité consentie : En même temps, ce tissu humain qui puise dans des origines différentes, et qui devient multidisciplinaire et multiculturel, ne
vous expose-t-il pas à devoir affronter des stéréotypes, ou à devoir surmonter
des barrières conceptuelles et linguistiques ? Lesquelles ... et comment
les surmonter au prix d'une réelle dépense énergétique ? Surtout: pourquoi les surmonter ?
7. Dimension
intergénérationnelle : Comment vous
arrive-t-il de vivre au travail le rapport "mentor" à "disciple", "expert" à "usager", "maître" à "apprenti", "légitime" à "franc-tireur"? Quelle espèce de jeu se met en place avec vos anciens, susceptible
de libérer (ou, au contraire, de contraindre) votre propre créativité ? Avez-vous vécu une situation inversée, dans laquelle l'ancien a pu tirer un avantage d'actes ou de paroles posés par sa jeune garde ?
8. L'arroseur
arrosé : Vous êtes
à un âge qui vous a déjà fait abandonner votre condition d'étudiant, et qui
vous amène peut être à devoir commencer à enseigner, ou à encadrer, à votre tour. Pourtant,
le partage inépuisable des connaissances montre qu'il ne faut jamais cesser d'apprendre, et
qu'il est peut être vain de prétendre enseigner sans pour autant réveiller sa
naïveté d'écolier. Faites-nous part des situations qui font de vous des enseignants
enseignés, et étonnez-nous sur la diversité des sources (codifiées ou empiriques) qui renouvellent encore
votre regard, vos références, ou vos représentations du réel.
9.
Importance de la
discontinuité d'un parcours : Le prospectiviste Thierry Gaudin a dit :
« La création procède le plus souvent de personnes déplacées … Elle est
une émanation de l’écoute environnante ». Il semble en effet particulièrement fécond d'être à même de déplacer ses points de vue, au point de pratiquer le décentrement comme une saine attitude professionnelle. Est-ce bien votre expérience ? Ou celle de certains collègues dont les trajectoires ont pu vous impressionner ?
10.
Implications
sociales d'une mobilité de la tête et des jambes : En évoquant le programme de
mobilité des étudiants et apprentis ERASMUS, le sémiologue Umberto Eco a dit:
«C’est aussi une révolution sexuelle. Les couples mixtes que ce programme a
suscité à hauteur du million, et leurs enfants bilingues à naître,
constitueront une nouvelle élite européenne qui laisse augurer un avenir plus
convaincant à notre Europe ». Dépassant l'anecdote, avez-vous le sentiment qu'une certaine disponibilité professionnelle à intégrer la différence se répercute positivement dans l'intime (la vie domestique, familiale ou affective, sans oublier les loisirs) ?
11.
Créatif, parce que culturellement situé : Le juriste Dominique Rousseau, expert notamment de
l’agence d’évaluation de la recherche, déclare : « Il n’y a pas de
passerelle entre les élites intellectuelles et les élites
économico-politiques ; ces dernières ne lisent plus ! ». Voir aussi Philippe Coulangeaon: les métamorphoses de la distinction (Grasset, 2011). En tant
que personne animée par un esprit curieux, impatient et créatif, avez-vous le sentiment de rejoindre une élite et, si oui, laquelle ? Que lisez-vous
encore en dehors de votre spécialité ? L'inspiration tient-elle (en partie) à des lectures mémorables ? Certaines lectures ont-elles été pour vous l'équivalent de rencontres initiatrices ?
12.
Réductionnisme versus holisme : Le macrocosme social expérimente dans nos contrées le soit-disant
"repli identitaire", qui n'est pas sans évoquer, dans le microcosme
des chercheurs ou experts, le "repli réductionniste" qui les guette. Le confort de sa propre spécialité évidemment sécurise ... Il n'y a pas que sa culture ethnique, linguistique ou nationale qui procure à soi un nid douillet. On peut en dire autant de la culture professionnelle, à laquelle on se donne d'autant plus volontiers qu'elle procure inconsciemment le plaisir d'ostraciser tous ceux qui n'en partagent pas les lumières. Comment votre esprit spéculatif parvient-il à combiner une part légitime de ce réductionnisme professionnel et, en même temps, une lucidité holistique qui donne droit à tout un contexte et matière à relativisation? Comment se pratique chez vous cette gymnastique intellectuelle du yin et du
yang pour décrypter le réel qui vous entoure ?
13. Un antidote pour la morosité de la société :Vous sentez-vous
différent (engagé, curieux, animé, équilibré, peut être heureux) depuis que vos expériences vous ont délocalisé et projeté dans un
univers prospectif, où le regard est multiple, la pensée vagabonde et la parole
libérée ? Pensez-vous que de telles dispositions soient propres au milieu
universitaire, comme aussi à celui de l'apprentissage, ou qu'elles puissent contaminer d’autres collectivités humaines dans la
vie de la cité ? Ces dispositions sont-elles essentielles à la
créativité en général? Le repli sur soi, au contraire, est-il une stérilisation ?
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