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19/05/2017

Regarder ce que les autres ne regardent pas

Voilà quel est l'aiguillon qui pousse Anabelle à donner le meilleur d'elle-même. Le regard est la clé. Tout ce qui s'offre à la vue est offert. C'est gratuit, pourquoi s'en priver, pourquoi s'engluer la vue dans le cliché et la familiarité quand on sait qu'il suffit d'écarter un peu le voile? Chez nos amis chercheurs, le regard est leur premier instrument. Il est exercé par un long écolage pour faire sienne une panoplie de bonnes pratiques (bibliographie, modélisation, protocoles, essai-échec, répétabilité, réfutation par les pairs, etc), sur lesquelles asseoir l'originalité et la crédibilité de ses conclusions. Le regard d'Anabelle, selon ses propres mots, c'est l'attention constante à ce qui peut échapper aux autres, c'est l'importance du détail qui passerait inaperçu, c'est le langage des signaux faibles.



On connaît le regard qui tue ... voici le regard qui crée
Il est vrai que le paysage d'Anabelle est loin de rappeler le décor de nos jours. Il plonge dans l'infiniment petit. Il règle tout simplement la vie de nos chromosomes. Le Prix Nobel de médecine de 2009 avait révélé au grand public l'importance des télomères, ces terminaisons chromosomiques dont la détérioration accompagne inexorablement le vieillissement cellulaire, et de la télomérase, l'enzyme capable de régénérer les télomères.  La même télomérase peut aussi être accidentèlement suractivée dans un processus qui aboutit à la prolifération cancéreuse. Anabelle dirige une équipe de recherche qui se penche sur un mécanisme alternatif de maintien des télomères, capable de jouer un rôle dans  le passage à l'état tumoral, notamment dans les cancers pédiatriques de l'os ou du cerveau.
Anabelle met son équipe sur deux voies parallèles:
- la recherche de molécules susceptibles d'empêcher le maintien des télomères par ce mécanisme alternatif (nécessitant une collaboration avec des chimistes et le don de cellules de la part des patients);
- l'élucidation des voies biologiques qui permettent aux sujets s'adonnant à des activités physiques régulières de voir leurs télomères protégés au-delà  des évolutions constatées chez les sédentaires (nécessitant une collaboration avec des kinésithérapeutes et le don de biopsies de la part de volontaires).

On croisait le fer ... ici, on préfère croiser les regards
On constate d'emblée combien le chercheur doit se mouvoir dans un champ pluridisciplinaire, et conjuguer les apports d'autres spécialistes (ici: des chimistes, des cliniciens, des kinésithérapeutes, etc) pour apporter leur expertise autour des avancées circonscrites aux conditions du laboratoire chef de file. Tout ça pour dire qu'une équipe de recherche s'appuie sur des échantillonnages et dépose des résultats qui ont vocation à faire sens au-delà des conditions du laboratoire leader. Et qui, de ce fait, mettent en mouvement des compétences extérieures à des moments déterminés. C'est une analogie avec l'oeuvre d'art, si l'on veut bien adopter une perspective plus large. De même que l'oeuvre d'un artiste finit par lui échapper et se trouve investie du sens que veulent bien lui donner ses admirateurs, les percées scientifiques ont forcément des résonances au-delà de leur périmètre expérimental, et concernent tôt ou tard des constellations d'autres chercheurs, qui se trouvent appartenir à des univers emboîtés.

A cet égard, il faut aussi considérer l'architecture organique du travail en laboratoire. Pour traduire en expériences finalisées la stratégie globale de recherche d'Anabelle, 5 collaborateurs sont à la tâche, qui viennent d'horizons les plus divers (nationalités belge, française, grecque, italienne et tchèque). En effet, l'économie des circuits courts, du commerce de proximité et de la préférence nationale qui jouit d'un capital de sympathie dans les opinions publiques n'a pas sa place dans les milieux de la créativité, qu'elle soit scientifique ou artistique. Une équipe attelée à des investigations pointues, sous la pression d'une concurrence internationale de tous les instants, ne pourra faire sa place que si elle recrute à un moment donné les collaborateurs les plus finement ajustés à leur tâche, sans égard pour leurs passeports.
En dernier ressort, l'économie de la recherche ne circule qu'à travers des réseaux connectés internationalement. Pour Anabelle, cela représente en aval la conduite de son groupe multicolore, mais aussi en amont le suivi des données pertinentes produites dans 20 à 30 laboratoires capables de concourir au même niveau à l'échelle planétaire.



Aujourd'hui, Anabelle vous laisse un message simple, qui est le fruit de son expérience en matière de créativité scientifique. Davantage que la conjugaison d'une multiplicité d'origines qui est devenu une évidence dans le montage de projets, c'est la conjugaison des héritages de grands maîtres (les vrais patrons de la recherche au sens de l'originalité absolue de leur mode de pensée et de leurs méthodes d'investigation) qui permet d'optimiser une équipe désireuse d'émerger. Voyez-vous, c'est un peu comme dans un autre domaine artistique: celui de la musique. On ne fait de la bonne musique qu'avec d'excellents interprètes. Mais peu importe la nationalité de ceux-ci, pourvu qu'ils aient été formés par tel ou tel grand maître qui aura laissé une empreinte indélébile.

La leçon qu'il faut en tirer pour de jeunes créatifs serait certainement celle-ci: après une bonne formation de base, allez faire vos preuves chez les meilleurs du moment, comme le font les "compagnons du tour de France", qui perpétuent le savoir faire des métiers d'art. Si vous cherchez l'excellence, soyez compagnon du tour du monde. Anabelle a donc fait sa biochimie chez l'un de ces maîtres, sa génétique chez un autre, et sa découverte de la complexité des cellules humaines chez un troisième. Le chercheur est un passeur de relais, tout le contraire d'une tour d'ivoire. A bon entendeur ... salut !

25/02/2017

Quand le monde entier entre dans les cerveaux

Nos chercheurs dans le réel, à l'instar des artistes dans l'imaginaire, fabriquent donc de l'antidote à la morosité. Et, sans doute, sont-ils les premiers à s'en nourrir pour entretenir la flamme. Mais leurs confidences nous en apprennent davantage, puisqu'ils ajoutent à l'énumération de ce qui les titille à la tâche ce phénomène ignoré du plus grand nombre : leur milieu de travail, très concurrentiel, s'est ouvert en l'espace d'une génération à tous les esprits curieux de la terre.

Ils vous l'expliqueront mieux par eux-mêmes, mais voici pour faire simple : leurs équipes, tant réelles que virtuelles, sont complètement mondialisées, et donc profondément métissées. Distinguons les termes.

1) Mondialisées, dès lors que les pôles de recherche productifs se montrent capables, comme des éponges, d'aspirer vers eux des flux de jeunes chercheurs de tous les continents. Les meilleurs d'entre eux et les plus mobiles n'hésitent plus de nos jours à s'exporter de toutes les latitudes, le temps d'un projet post-doctoral ou d'un contrat de financement. Mais les réseaux d'échanges et de collaborations sont encore plus vastes par leur dimension virtuelle, les projets internationaux se montant de plus en plus sous la forme de laboratoires sans murs, irrigués par les canaux modernes de l'information et de la communication. Ce brassage n'affecte plus seulement les patrons de laboratoires très convoités de par le monde, mais effectivement tous les échelons de l'apprenti chercheur méconnu jusqu'au baroudeur cumulant les affectations post-doctorales en série.

2) Métissées, comme effet induit et néanmoins spectaculaire, puisque toutes les origines peuvent se rencontrer incidemment, ce qui amène les équipes à devenir des creusets multi-ethniques et multi-culturels. Certes, ce n'est pas l'objet, dira-t-on. Ce n'est peut-être pas l'objet, mais ce n'est pas neutre pour autant, et il y a fort à parier que cela puisse devenir un facteur d'émulation et de créativité. Parfois de tensions aussi, mais qui dit tension dit rebond. La tension, c'est la vie thermodynamique.

Voilà donc un témoignage vivement attendu de la part de nos chercheurs. Pour l'exprimer un peu vigoureusement, il faudrait peut-être leur demander si le formatage traditionnel anglo-saxon de la recherche sans frontières est si fort qu'il puisse neutraliser toute diversité culturelle, ou si la richesse du multi-culturalisme des milieux de la création, en réalité, ne serait pas de nature à influencer la manière d'être, de communiquer et donc de penser du chercheur. Entre nous, les points de vue sont disparates. Parlant pour les milieux de la recherche scientifique de haut niveau, Anabelle considère que l'enrichissement culturel compte assez peu dans les modes de fonctionnement du laboratoire, où la tradition académique a installé depuis longtemps une langue exclusive, l'anglais international, et des codes de conduite ainsi que des bonnes pratiques issus du monde anglo-saxon et universellement admis. En réalité, il n'est pas trop difficile d'imaginer que l'empreinte du métissage sur le décloisonnement de la pensée soit plus perceptible dès que l'objet des recherches se rapproche de l'humain et du social, alors qu'elle tend à se neutraliser tant que l'enjeu reste circonscrit à la production de savoirs codifiés et d'artéfacts matériels. Arnaud nous parlera volontiers de l'éclairage culturel dans la résolution de conflits et dans l'art du compromis.