Pour découvrir les 5 personnalités qui constituent notre panel, appeler tous les articles qui répondent au libellé "panel".
Pour entrer directement dans le vif du sujet, voir l'article: L'ouverture féconde ou l'errance du chercheur, du 24 janvier 2017, référencé par le libellé "feuille de route".
Chers panellistes et amis de ce blog, dans 2 mois 1/2 vous serez seuls
face à notre auditoire et abandonnés à la vérité toute simple de vos propres
témoignages. Et c'est bien ce que le public attend, lui qui n'a que faire des
spéculations et commentaires qui encombrent ces colonnes. Mais n'allez pas vous
croire seuls dans votre quête d'un surcroît de vie ou d'un supplément d'âme.
Ici, je reviens livrer
simplement deux informations du monde extérieur qui manifestent ouvertement ce
que nous essayons de dévoiler.
·La première information vient des transports parisiens, mais fait
directement écho à notre article du 24 janvier dernier, sous le titre de
"L'ouverture féconde ou l'errance du chercheur". Cet ancien article incluait
notre "feuille de route" essentielle, qui reste absolument
d'actualité pour la Table Ronde annoncée. Je cite le paragraphe suivant de la
feuille de route:
Implications sociales
d'une mobilité de la tête et des jambes: En évoquant le programme de mobilité des
étudiants et apprentis ERASMUS, le sémiologue Umberto Eco a dit: «C’est aussi
une révolution sexuelle. Les couples mixtes que ce programme a suscité à
hauteur du million, et leurs enfants bilingues à naître, constitueront une
nouvelle élite européenne qui laisse augurer un avenir plus convaincant à notre
Europe ». Dépassant l'anecdote, avez-vous le sentiment qu'une certaine
disponibilité professionnelle à intégrer la différence se répercute
positivement dans l'intime (la vie domestique, familiale ou affective, sans
oublier les loisirs) ?
Au
métro Montparnasse donc, la RATP a déployé une grande fresque pour nous faire
voir de quoi sera constituée la nouvelle
élite européenne (expression d'Umberto Eco). Toutes ces unions mixtes à
double culture, d'où surgissent des enfants aux identités multiples et aux
parlers diversifiés, qui sont les fruits des itinéraires d'apprentissage décloisonnés
de leurs parents ! D'où le titre que la RATP a voulu donner à cette fresque:
Union(S) européennes ... Le photographe qui en est l'auteur, Frédéric de la
Mure, s'est exprimé ainsi: «S’il y a
bien une chose que je retiens de toutes ces rencontres, c’est que chaque parent
essaie de transmettre les valeurs de son pays d’origine tout en respectant
celles de l’autre. Pour moi, ces parents binationaux sont un trait d’union
avec l’avenir ! »
·L'autre
information du moment qui nous interpelle, sans doute inaperçue du grand
nombre, c'est la grande marche Ostende-Odessa qu'organise l'Association Jorsala
dont l'un de nos panellistes - Sébastien de Fooz - est l'animateur. Les
marcheurs ne sont-ils pas eux aussi des chercheurs avec leurs pieds, tous les
sens déployés et le coeur ouvert? Leur mot d'ordre: vivre la confiance
au-delà de l’inconnu par le biais du dialogue. Aujourd'hui, ils sont en
Allemagne à l'approche de la frontière tchèque.
Tout ça pour dire que nos discours n'ont rien de
théorique. Il suffit de regarder ce qui se passe aux frontières. C'est toujours
aux frontières que l'esprit curieux se doit de regarder.
Je m'appelle donc Sébastien de Fooz, j'ai 43 ans à l'heure où j'écris ces lignes. Je suis né à Gand, et je suis issu d'une famille francophone de Flandre, ceci explique pourquoi les questions identitaires me passionnent. J'ai étudié les Sciences Sociales et depuis je suis animé par la création d'espaces de dialogue. Que ce soit en prison, aux soins palliatifs où à Molenbeek où je travaille depuis 5 ans.
J'ai été à pied à St-Jacques, à Rome et à Jérusalem. Suite à cette expérience, avec des gens sensés, nous avons fondé l'asbl Jorsala qui vise à créer des espaces de dialogue au travers de la marche. En 2012, nous sommes partis avec 60 Belges issus de la société civile de Bruxelles à Aix-la-Chapelle. En 2014, 100 ans après la Première Guerre Mondiale plus de 100 personnes se sont rendues sur la marche d'Ypres à Istanbul.
Ce 25 mai, nous initions une marche d'Ostende à Odessa. De part et d'autre de lignes de fractures, nous invitons des personnes à nous rejoindre pour un jour, pour une semaine ou pour plusieurs mois de marche et de vivre l'expérience Jorsala. Parce que si nous restons avec les deux pieds sur terre, nous n'avançons pas d'un pas.
Je me réjouis donc de passer un moment avec vous avec au moins un pied vers l'inconnu. Et d'en faire notre plus fidèle allié...
Parfois, il nous arrive d'oublier que nos petites
discussions doivent finalement nous conduire à Houffalize, le 28 septembre. Or,
vous auriez tort de croire au hasard, et de passer un peu vite sur ce que vous
alliez considérer comme un simple concours de circonstances. Pourquoi
Houffalize, au coeur du massif ardennais? Les uns verront, dans ce lieu de
notre prochain rassemblement, ni plus ni moins qu'une province reculée de la
Belgique. Mais d'autres (et je voudrais vous inviter à cette observation) ne
manqueront pas de noter la valeur symbolique qu'il est possible d'attacher à ce
lieu à peu près inconnu, par le simple fait qu'il est une charnière des nations
européennes. Imaginez que 5 sur les 6
pays fondateurs des Communautés européennes se retrouvent ici à un jet de
pierre (ou presque) les uns des autres. C'est tout simplement bluffant.
Connaissez-vous beaucoup
d'endroits qui soient entourés de 4 frontières dans un mouchoir de poche? C'est
un peu comme si Paris était enserré par 4 frontières, et que l'on parlait le
néerlandais à partir de Chantilly, l'allemand à partir de Meaux, le luxembourgeois
dès Corbeil-Essonne et le français au-delà de Saint-Germain-en-Laye. Houffalize
n'est en effet qu'à 8 km du Luxembourg, 22 km de l'Allemagne, 63 km de la
France et 69 km des Pays-Bas. Exprimé autrement, c'est comme si l'un des plus
petits départements français incluait dans son périmètre les enclaves de 5
nations européennes contigües. Grisant, non?
Pourquoi serait-ce tellement grisant? Eh, bien: je fais
appel à la capacité émotive de chacun. César a franchi le Rubicon, certes.Mais à quel moment se situait chez lui
et ses hommes le sentiment bien prévisible de l'exaltation, de la question ou
du doute? Précisément pendant la traversée, au moment de n'être déjà plus
en-deçà, mais pas encore au-delà. Donc, exactement dans le vertige d'être en
train de traverser une frontière, troublé à l'idée de se retrouver borné à une
seule fatalité, étreint d'un inévitable sentiment d'inachèvement.
Sans fomenter les mêmes desseins inavouables que pouvait
concevoir alors Jules César, chacun s'est trouvé une fois ou l'autre au milieu
d'un gué ou sur la corde raide. Il paraît que c'est un exercice salutaire. Sans
aller jusqu'à en faire une thérapie, je me contente de mettre en discussion la
vertu du vide médian ou de l'entre-deux, l'instant fugace où l'on vit
l'illusion de prendre appui sur deux milieux à la fois. Le moment du grand
écart, quand s'ouvre à nos yeux étonnés la possibilité de rejoindre deux
mondes, de faire en sorte que ces deux mondes existent simultanément pour soi.
C'est une expérience qui peut être bouleversante, et que
connaissent plus naturellement les randonneurs et les aventuriers par exemple (ne
parlons pas des travailleurs frontaliers, pour qui le grand écart est un
exercice quotidien entré dans la banalité). Qui n'a pas déjà joui de
l'exaltation de pouvoir poser un pied dans un pays et l'autre dans le pays
voisin, surtout quand on arrive au terme d'une ascension vers un col ou un
sommet? Qui n'a pas tenté, ou au moins rêvé, de mettre un pied en Europe et
l'autre en Asie au franchissement d'un pont sur le Bosphore? Qui n'a pas cédé
au plaisir typiquement islandais de prendre pied dans le"graben" du rift médio-atlantique
entaillé de failles, d'où s'écartent les deux plaques tectoniques de l'Amérique
du Nord et de l'Eurasie? Combien sont ceux, heureux et fortunés, qui ont
baroudé dans les Alpes Rhétiques, pour réaliser qu'ils piétinaient des hautes
terres, dont les différents versants basculaient simultanément vers la Mer du
Nord, la Méditerranée et la Mer Noire. Un endroit magique où une même pluie est
capable ponctuellement d'alimenter en eau les 3 grands bassins du Rhin, du Po
et du Danube, constitutifs de l'Europe dans toute son extension ...
Où est-ce que je veux donc en venir? C'est d'abord le moment
de rendre la parole à certains parmi nos panellistes, puisqu'il en est qui se
sont largement familiarisés avec les voyages au long cours et le franchissement
de frontières. Comment s'est exprimée chez eux la sensation du vide médian? Qu'ils
parlent donc ! Ensuite, vous n'aurez guère de mal à me suivre dans une
déclinaison des versions métaphoriques du grand écart.
Quittant la frontière située
dans l'espace, une transposition dans un cadre temporel se conçoit aisément. La
position qui consiste à avoir un pied dans le passé et l'autre dans le futur
prend souvent un sens initiatique. Pensons à la célébration du Nouvel An, aux
rites de passage vers l'âge adulte, ou simplement à l'impact que les levers et
les couchers de soleil peuvent avoir sur nos esprits. La métaphore fait son
chemin et peut nous renvoyer au sujet même de notre Table Ronde, si l'on veut
bien penser à l'importance des césures dans nos parcours personnels, à
l'élargissement du regard quand deux personnes dépassent leurs différences dans
une discussion controversée, aux enfants embellis par la double culture de parents
allochtones, à tous les efforts pour jeter de nouveaux ponts ou abattre des
murs irrationnels. Aujourd'hui, pour un entretien d'embauche, on ne vous demande plus quels sont vos diplômes;
on vous demande plutôt: combien de frontières avez-vous déjà franchies?
Nous le
savons, les chercheurs sont plutôt plus mobiles que la moyenne des actifs. A
vingt ans, ils veulent découvrir le monde. A vingt-cinq ans, ils veulent se
mettre à l'école des plus grands maîtres. A trente ans, ils veulent diversifier
et corser leur expérience. A trente-cinq ans, ils sont à la poursuite des
contrats susceptibles de faire aboutir leurs publications de prestige. A
quarante ans, ils cherchent un statut chez le plus offrant: université,
entreprise ou grand institut. Tout ça ne va pas sans mal, mais la quête obstinée
d'un environnement qui soit favorable à l'esprit de spéculation, à la liberté
d'entreprendre et à la fréquentation des meilleurs n'en demeure pas moins le
moteur du jeune chercheur.
Avant de
recevoir les témoignages corroborants des nouvelles générations, ne boudons pas
notre plaisir et laissons-nous impressionner par les vagabondages (trop mal
connus) de la plupart des figures légendaires de la recherche. Etienne Klein
vient de publier son excellent "Le pays qu'habitait Albert Einstein"
(Actes Sud, 2016), essai dans lequel il démontre s'il en était besoin que ce
penseur universel aimait larguer les amarres, et que son réel port d'attache
n'était autre que son immense imagination. Vous êtes tenté de me dire: Ah, oui!
Mais c'était un génie, lui. Dès lors, pouvons-nous en tirer des conclusions?
Certes, mais il n'était pas le seul dans ce cas de figure. Voyez Copernic,
Erasme, Descartes, Marie Curie, Sigmund Freud, Florence Nightingale, Sigmund
Freud, etc (Ci-dessous: schémas pour quelques uns de l'enchaînement de leurs
résidences professionnelles). Le modèle est pour le moins répandu.
Ensuite,
mettons-nous en tête qu'il y a tout le cortège des anonymes, car la recherche ne
se maintient pas à la traîne de quelques célébrités, mais elle progresse avec les
flux de chercheurs innombrables, par lesquels circulent les idées nouvelles et
les savoir faire les plus avancés. Les pionniers de l'innovation, qu'elle soit
scientifique, sociale ou culturelle, sont couramment des personnes déplacées et
qui se tiennent à l'écoute de tous les environnements (Thierry Gaudin, L'Aube,
1998). Exprimé autrement, la dynamique des exils, rencontres et influences,
suscite une production culturelle et intellectuelle originale et favorise le
"scepticisme créateur" (Nicole Lapierre, Stock, 2004). Tous ne
rencontrent pas la même chance, mais tous sont placés dans la même quête. Le
profane se demande peut être ce qui alimente cette quête: les chercheurs se
délocaliseraient volontiers (géographiquement, ou mentalement) en mal de
découvrir telle ou telle face cachée? Ou serait-ce plutôt leur initiation
savante qui en ferait des citoyens du monde par construction? Est-ce donc le
manque, ou la surabondance qui les pousse ainsi? Qu'en disent-ils eux-mêmes?
Entre temps, laissons-nous entrainer sur ces nouveaux "chemins de
Compostelle" de la recherche, qui sillonnent l'Europe dans tous les sens, jalonnés
de résidences d'artistes ou de chercheurs, et qui ont beaucoup à voir avec
l'édification d'une société de la découverte.