Pistes à explorer

Pour découvrir les 5 personnalités qui constituent notre panel, appeler tous les articles qui répondent au libellé "panel".
Pour entrer directement dans le vif du sujet, voir l'article: L'ouverture féconde ou l'errance du chercheur, du 24 janvier 2017, référencé par le libellé "feuille de route".

Affichage des articles dont le libellé est enthousiasme. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est enthousiasme. Afficher tous les articles

09/05/2017

La soif

    Partages de vies ... donc d'en-vies


 Le manque me manque, je suis comblé.
(Rabbi Yaakov Lacan)

Je vous annonçais ces deux rencontres, dans l'article du 27 avril ...

D'abord, Hubert Reeves: "Des souvenirs de cours qui m'ont plongé dans une véritable exaltation ... je ressens une intense gratitude pour les enseignants qui m'ont éclairé ... je voudrais être comme lui et faire ce qu'il fait ... mes parents m'ont offert un livre sur les microbes ... grâce à la connivence d'un enseignant, j'ai eu la permission de revenir après les heures de cours ... La puissance des instruments d'optique pour observer le monde; la puissance des mathématiques pour le décrire .... les mathématiques montraient leur ancrage dans la nature, etc..." (Intimes convictions, Editions Paroles d'aube, 1997).

Ensuite, Philippe van Parijs: "Philosophe accueilli parmi les économistes, penseur continental d’orientation anglo-saxonne, universitaire dont la formation doit plus à l’auto-stop qu’aux auditoires et qui, aujourd’hui encore, étoufferait d’être confiné dans sa tour d’ivoire, etc ..." (Remise du Prix Franqui, 2001).

Il nous parle, ce contraste entre Hubert Reeves, le scientifique (l'émerveillement devant ce qui est, et ce qui reste caché, l'emboîtement des infinis, les lointains, le réel qui interroge, l'image du réel renvoyée à l'observateur, la modélisation, l'inépuisable nature) et Philippe Van Parijs le philosophe (l'émerveillement devant ce qui s'oppose ou ce qui s'assemble, le tout et les parties, les niveaux d'organisation, les communautés, le milieu, l'emprise de l'observateur sur le réel, l'inépuisable culture). N'avons-nous pas là diverses conceptions d'un même émerveillement, à travers ces deux regards différents? Et toujours sous-jacente: la soif inextinguible.

Chez le premier, la soif communiquée dans les auditoires, mais aussi les compagnonnages  intimes. Modèle de l'empreinte paternelle: émancipation au berceau familial, auprès des intimes, puis à l'école et par les sources académiques. Filiations directes et surtout de type vertical.

Chez le second, la soif renouvelée sur les parcours d'auto-stop. Modèle de l'empreinte maternelle: émancipation fondatrice au contact du milieu et des événements. Filiations de type placentaire, nourrissage capillaire, à forte dimension horizontale. "La vérité ne se trouve pas par preuve, mais par exploration" (Simone Weil).

Les deux modèles s'interpénètrent évidemment. Pour dire simplement que le moteur du désir n'est pas enfermé dans une quelconque sphère normative, et que chacun peut s'y retrouver avec sa sensibilité propre. Le peuple des assoiffés embarque joyeusement les chercheurs de toutes tendances, comme les artistes ou les innovateurs sociaux, confondant tous les milieux créatifs.

S'il y a quelque chose à apprendre des champions de la pensée créative, pas seulement Hubert Reeves ou Philippe van Parijs, mais tant d'autres, ce n'est pas tant leur capacité à devancer le genre humain (ce n'est pas donné à tout le monde) que plutôt les conditions qui les y ont prédisposés. Or, ces conditions sont en principe disponibles pour tous, professionnels et amateurs, sous réserve que la soif puisse toujours se manifester. C'est aussi le point de départ d'un questionnement que nous pouvons adresser à nos jeunes créatifs. Donc, retour à notre Table Ronde, avec ces questions actuelles:

- En-vies de vie ... Nos jeunes ont-ils soif d'un au-delà d'eux-mêmes? Mais d'où leur vient cette soif? Cette soif prend-elle différentes tonalités avec l'avancée en âge?
- Parcours initial ... La voie de formation et d'apprentissage qu'ils ont suivie a-t-elle été subie ou choisie? Répond-elle à leur soif, ou ravive-t-elle cette soif autrement, dans de nouvelles directions?
- Prendre du plaisir ... Sont-ils davantage "shootés" à l'auditoire (cf. Hubert Reeves) ou à "l'auto-stop" (cf. Philippe van Parijs)? C'était l'article du 27 avril. Mais dans tous les cas, la même disponibilité chez eux à l'émerveillement.
- Evénements fondateurs ... Comment le jeu des rencontres humaines entretient-il leur soif? Songent-ils à des rencontres fondatrices de type paternel (transcendantes) ou aussi de type maternel et placentaire (immanentes)?
- Créativité en plénitude, ou schizophrénie ... Comment cette soif  (ses exigences, ses visions) les équilibre-t-elle par rapport à leurs positions citoyennes, sociales, amicales et familiales? Un engagement créatif est-il compatible avec l'unité des différentes personnalités en soi?
- Découragement ... A l'inverse, quelles circonstances au travail ou dans la collectivité ont pu éventuellement dénaturer ou décevoir la soif du jeune créatif? La tentation de l'indifférence parvient-t-elle aussi à empoisonner les meilleurs esprits ? Comment désamorcer pareil détournement d'énergies ?

Que l'homme assoiffé s'approche, que l'homme de désir reçoive l'eau de la vie, gratuitement. (Apocalypse, 22,17)

03/05/2017

Bonjour, Flora. Tu embarques ?

Bonjour,

Bravo pour l'organisation !
J'aime beaucoup vos questions et je pense que je vais prendre le temps de contribuer au blog.
En attendant, voici mes informations:

Je m'appelle Flora Vincent, j'ai 28 ans et suis née à côté de Marseille. Je viens de terminer ma thèse à l'Ecole Normale Supérieure à Paris, où j'ai passé trois ans à analyser les données issues d'une expédition internationale appelée Tara Océans (voir video, ci-dessous) et m'envole pour l'Israël en Septembre pour poursuivre ma carrière de chercheuse en microbiologie marine. Née d'un père français et d'une mère japonaise, d'un ingénieur et d'une littéraire, et ayant passé un peu de temps à l'étranger, le choix d'une thèse en France n'a pas été clair dès le début, j'ai même tout fait pour l'éviter. Une suite de rencontres, mentors, et (beaucoup) de stages ont créé des opportunités que je ne pouvais refuser.

Au cours de ma thèse j'ai co-fondé et co-dirigé pendant 4 ans une association de promotion des sciences et de la mixité en science, à travers le développement et la diffusion d'outils innovants basés sur le numérique, la collaboration avec des artistes, des non scientifiques, avec l'objectif de susciter une curiosité scientifique auprès du grand public en usant d'un ton décalé et ludique. Une aventure entrepreneuriale mais "sans but lucratif " dont j'ai beaucoup appris en terme de management, relationnel, gestion de projet et levée de fond et qui m'a permis de sortir la tête du labo quand il fallait prendre l'air... 

Une citation: "Les mots qui ont un son noble contiennent toujours de belles images"; j'étais obligée de citer Pagnol, étant originaire d'Aubagne !

Voilà, en quelques lignes, une brève présentation. J'ai hâte de lire les vôtres.



02/04/2017

Peut-on dés-institutionnaliser la veine créatrice ?

C’est l’hypothèse d’un glissement de l’attention de nos esprits créatifs, de l’exploration du monde vers l’exploration de l’humain.
Pour en prendre conscience, il ne convient sans doute pas de se placer sur un plan trop rationnel ou trop structuré. Car la plupart des cercles académiques s’accrocheront à l’idée, avec bien des évidences incontestables, que les grandes conquêtes de l’espace, de la matière, de l’intelligence, de la santé, etc, continuent à occuper des générations de chercheurs passionnés. Et c’est vrai. Mais on ressent néanmoins quelque chose comme … un glissement.

Il y a des signes avant-coureurs. Par exemple, le déclin régulier depuis environ 2 décennies, au moins pour les régions les plus développées, de la proportion des nouveaux inscrits dans les facultés scientifiques et technologiques, par opposition à la popularité renforcée des sections langues-commerce-droit-arts du spectacle (ou apparentées), signalant l’intérêt grandissant pour tout ce qui est de l’ordre du relationnel.

Même notre modeste petit exercice de Table Ronde sans prétention commence à suggérer une tension entre ces aventures parallèles, qui vont se situer dans les sciences dures, les sciences molles ou, de manière confuse, au coeur des apprentissages qui relèvent directement de la connaissance de l’autre. N’en faisons pas des généralités, mais reconnaissons néanmoins que, balayant autour de nous le vaste champ de la créativité, ce sont nos interlocuteurs des sciences dures qui se montrent aujourd’hui les plus réticents à se considérer encore des aventuriers de la connaissance; même s’ils avouent connaître indubitablement les mêmes passions, et des émerveillements de même nature que tous les autres passeurs d’horizons. Ils ont plus de mal que leurs anciens à se mettre en scène dans leurs habits de pionniers, et ne sont pas spontanément demandeurs de communication avec leurs semblables. Ils sont plus couramment pris de doutes sur leur rôle social, quand bien même leurs conquêtes continueraient à inspirer le respect.

Au contraire, notre exercice à l’écoute des jeunes en mode créatif nous a révélé de bien belles surprises, sous la forme d’adhésions inattendues. Tout se passe comme si l’esprit créatif devenait apparemment plus porteur d’espoir dans la conscience d’un anthropologue, d’un animateur culturel ou social, d’un historien, d’un romancier, en écho à ces lieux d’apprentissage s’adressant directement à l’humain. Pour eux, le laboratoire, c’est la ressource humaine et ses constructions sociales et culturelles (entendant la science elle-même comme une manifestation culturelle, au même titre que les arts et les lettres). Ces témoins-là, aux frontières de l’humain, nous montrent par leur soif d’expériences et de confrontations intellectuelles être plus prompts à se porter aux premières lignes d’une autre vision du progrès.


Il nous tarde d’entendre les réactions de nos protagonistes dévoués aux sciences dures, parce qu’ils détiennent pour longtemps encore la clé d’une meilleure gestion de notre milieu, mais souffrent apparemment d’une timidité à croiser leurs connaissances spécialisées avec les autres composantes civilisationnelles, où fermente l’imagination collective par laquelle nous faisons société.

16/02/2017

La morosité : ça suffit !

Qu'est-ce qui les fait courir, disions-nous? La première réponse qui nous est renvoyée est celle-ci : l'antidote à la morosité de la société.
Ce sont eux qui le disent : leur vocation, c'est en partie un antidote contre la morosité de la société.
Certes, ils sont partie prenante de cette société, dont ils appliquent les règles et qu'ils font parfois bouger comme des rouages organiquement reliés aux autres. De fait, chez les chercheurs, on traverse de longs moments d'ascèse, on se heurte au pouvoir de l'argent, on lutte contre l'establishment et on n'est même pas à l'abri des dogmes normatifs. Et pourtant, c'est chez eux - comme aussi dans les métiers artistiques - qu'on est le plus susceptible de rencontrer les joies les plus pures. Le statut et la carrière du chercheur reste un problème récurrent, comme il l'est aussi chez l'artiste, mais les pesanteurs structurelles des institutions compétentes n'ont pas (n'auront jamais) le pouvoir d'entamer les enthousiasmes subits et incommunicables que connaissent les chercheurs confrontés à l'essentiel de leur tâche. Etrangement, c'est peut être chez les mystiques que l'on trouvera les meilleures descriptions du jaillissement de ces joies intimes.
"La joie n'est ni purement en moi-même, ni simplement liée aux circonstances. Elle est une rencontre avec ce qu'il y a de plus vrai dans le réel, un rendez-vous avec le coeur battant du monde" (Martin Steffens). Vous connaissez un chercheur? Demandez-lui ... Son antidote à la morosité se trouve là où vous aurez peu de chance d'aller, mais lui ou elle y va, il connaît, et il pratique. La différence avec l'artiste, c'est que son public avec lequel partager sa joie est souvent plus restreint. Il se limite à l'obscure communauté de ses pairs.

Allez, vous les jeunes volontaires de notre Table Ronde : laissez percer un peu de votre joie, osez porter aux yeux de votre public les éclairs de vos instants cathartiques. Vous le savez et vous le dites ici : la vie et l'univers que vous explorez valent bien plus, oui bien plus, que les images qu'en peut donner notre société trop formatée.