Pistes à explorer

Pour découvrir les 5 personnalités qui constituent notre panel, appeler tous les articles qui répondent au libellé "panel".
Pour entrer directement dans le vif du sujet, voir l'article: L'ouverture féconde ou l'errance du chercheur, du 24 janvier 2017, référencé par le libellé "feuille de route".

Affichage des articles dont le libellé est chercheur. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est chercheur. Afficher tous les articles

08/09/2017

Table Ronde du 28 septembre 2017 à Houffalize (Belgique)

Dans 3 semaines, la Table Ronde sera ouverte et produira ses effets. Chacun s'y prépare, en essayant simplement de faire la vérité en soi. Nos panélistes n'ont pas de rôle à jouer si ce n'est leur propre rôle, puisqu'ils n'auront pas de meilleur argument que celui consistant à partager un peu du secret de leurs engouements.

·      Anabelle m'a convaincu de l'importance de la fréquentation des maîtres, auprès de qui chacun voudrait pouvoir s'ouvrir l'esprit. Davantage qu'un apprentissage exclusif, elle valorise les enchaînements d'apprentissages par l'écoute de plusieurs maîtres qu'il conviendrait d'aller chercher, afin de partager par tranches de vie leurs univers particuliers, leurs milieux académique et humain, leurs paysages et leurs décors.  Elle me fait penser à cette autre personnalité inventive, Fabienne Verdier peintre-calligraphe, qui est partie en Chine pour solliciter les enseignements d'un vieux lettré, et qui a passé des mois entiers à glisser ses ébauches et ses brouillons sous sa porte jusqu'à ce que celui-ci daigne la faire entrer.
            Mais Anabelle m'a fait aussi connaître d'autres aiguillons de sa pulsion créative. Pour elle, rien ne semble compter autant que le regard, c'est-à-dire l'attention, la capacité à déchiffrer les apparences, l'écoute des signaux faibles. Ensuite, sa réponse à une telle imprégnation du réel passe par toute la rigueur de la méthode scientifique, où l'on retrouve des points communs avec Flora qui, quant à elle, m'a communiqué semblablement sa confiance dans le doute et son recours incessant à l'esprit critique.

·      Flora, justement, se singularise par une curiosité à toute épreuve, une soif de découvrir et d'expérimenter. Elle est mue par un indéniable amour de la diversité, de la nouveauté, de l'étrangeté qui constituent son puits de connaissances. Elle m'a étonné par sa vision réunifiée du monde, où la biologie (la nature) et l'humain (la culture) ne seraient qu'une manifestation unique des forces de la vie. D'où son appétit exceptionnel de rencontres et sa recherche d'une pluralité des regards. Elle a su me décrire les effets déterminants des écarts, des ruptures, des imprévus, de certains face-à-face capables de modeler tous les accents du désir et les élans de la volonté individuelle.

·      Fabrice, notre benjamin, est à l'âge des doutes et des essais. Il sent mieux que quiconque la valeur de l'indétermination, donc de la condition prémature. Il manifeste une émouvante soif d'être, mais cherche à ne pas se laisser déjà capturer par les formatages excessifs auxquels conduisent souvent les filières professionnelles. Il incarne à mes yeux le respect (presque de nature anthropologique) des potentialités inexplorées de l'humain, le besoin chez tout individu de ne pas étouffer l'artiste qui sommeille. Justement, artiste il l'est aussi, puisqu'il démontre par ses engouements une capacité - une joie diraient certains - à appréhender avec égal bonheur les complexités de la chimie des matériaux au plus haut niveau scientifique, et l'écriture musicale pourvoyeuse d'émotions esthétiques .

·      Arnaud partage avec Fabrice cette qualité enviée d'être à la fois chercheur et artiste. A la musique de Fabrice, il répond par ses talents graphiques et plastiques. Et aux sciences naturelles de Fabrice, il oppose son adhésion aux sciences humaines et sociales. Sa particularité dans le groupe est que ses recherches n'ont rien d'académique mais se situent dans le monde réel. En réalité, il est davantage un expérimentateur des techniques et pratiques de l'expression publique, de la décision collective et du compromis, des échanges éducatifs et culturels. Arnaud entend les plaintes du monde contemporain, et particulièrement celles de la ville cosmopolite, pour y trouver sa grande motivation à susciter de l'innovation sociale. Ce qui m'émeut chez lui, c'est qu'il est animé du souci de rendre toute la collectivité créative, plutôt que de privilégier sa propre image.

·      Sébastien pourrait se reconnaître en Arnaud, lui qui s'est également formé aux sciences sociales et s'est toujours chargé du souci de l'humanité. Sa marque est la confiance qu'il met dans le déplacement, le dépouillement, le renversement, ce qui me rappelle l'adage si bien défendu par le prospectiviste Thierry Gaudin, selon lequel l'innovation procèderait le plus souvent de personnes déplacées. A son programme depuis des années, il a mis la marche à pied. Mais pas n'importe laquelle : il propose la marche trans-culturelle. A pied à Jérusalem, il l'a fait, et ses continuateurs sont désormais en marche d'Ostende à Odessa. Pas pour la performance, mais très exactement pour que se répète de jour en jour le miracle de la rencontre. Bien sûr, Sébastien ne pouvait se borner à l'épopée, et son projet s'est donc commué en un patient labeur de restauration du tissu social dans la ville, par le biais de "tables de dialogue" inter-culturelles.

Le paradoxe de notre Table Ronde, c'est que la diversité des origines, des parcours individuels et des intérêts particuliers de nos 5 panélistes, qui d'ailleurs ne s'étaient jamais vus auparavant, n'entame en rien leurs véritables convergences. Ils nous donnent unanimement à découvrir les mêmes acteurs sociaux engagés, amoureux de ce monde, concernés par son avenir, et confiants dans le besoin et la possibilité d'un renouveau. Admettez avec moi qu'ils sont tous, chacun à sa manière, des chercheurs, en laboratoire, en ville, sur les océans, au secours de la société et en mal d'utopies. Convenez qu'ils sont tous également, chacun à sa manière, des artistes, par le geste, la sensibilité, la technique, la capacité d'étonnement et la communion avec leur univers, aussi mystérieux que merveilleux. Et tous, chercheurs et artistes de conviction, viennent nous redire, comme s'ils n'y étaient pour rien, les bienfaits sur leurs chemins de la rencontre interpersonnelle, celle qui n'a cessé de les construire. Rendez-vous à la fin de ce mois pour réunir nos impressions post-partum.

19/05/2017

Regarder ce que les autres ne regardent pas

Voilà quel est l'aiguillon qui pousse Anabelle à donner le meilleur d'elle-même. Le regard est la clé. Tout ce qui s'offre à la vue est offert. C'est gratuit, pourquoi s'en priver, pourquoi s'engluer la vue dans le cliché et la familiarité quand on sait qu'il suffit d'écarter un peu le voile? Chez nos amis chercheurs, le regard est leur premier instrument. Il est exercé par un long écolage pour faire sienne une panoplie de bonnes pratiques (bibliographie, modélisation, protocoles, essai-échec, répétabilité, réfutation par les pairs, etc), sur lesquelles asseoir l'originalité et la crédibilité de ses conclusions. Le regard d'Anabelle, selon ses propres mots, c'est l'attention constante à ce qui peut échapper aux autres, c'est l'importance du détail qui passerait inaperçu, c'est le langage des signaux faibles.



On connaît le regard qui tue ... voici le regard qui crée
Il est vrai que le paysage d'Anabelle est loin de rappeler le décor de nos jours. Il plonge dans l'infiniment petit. Il règle tout simplement la vie de nos chromosomes. Le Prix Nobel de médecine de 2009 avait révélé au grand public l'importance des télomères, ces terminaisons chromosomiques dont la détérioration accompagne inexorablement le vieillissement cellulaire, et de la télomérase, l'enzyme capable de régénérer les télomères.  La même télomérase peut aussi être accidentèlement suractivée dans un processus qui aboutit à la prolifération cancéreuse. Anabelle dirige une équipe de recherche qui se penche sur un mécanisme alternatif de maintien des télomères, capable de jouer un rôle dans  le passage à l'état tumoral, notamment dans les cancers pédiatriques de l'os ou du cerveau.
Anabelle met son équipe sur deux voies parallèles:
- la recherche de molécules susceptibles d'empêcher le maintien des télomères par ce mécanisme alternatif (nécessitant une collaboration avec des chimistes et le don de cellules de la part des patients);
- l'élucidation des voies biologiques qui permettent aux sujets s'adonnant à des activités physiques régulières de voir leurs télomères protégés au-delà  des évolutions constatées chez les sédentaires (nécessitant une collaboration avec des kinésithérapeutes et le don de biopsies de la part de volontaires).

On croisait le fer ... ici, on préfère croiser les regards
On constate d'emblée combien le chercheur doit se mouvoir dans un champ pluridisciplinaire, et conjuguer les apports d'autres spécialistes (ici: des chimistes, des cliniciens, des kinésithérapeutes, etc) pour apporter leur expertise autour des avancées circonscrites aux conditions du laboratoire chef de file. Tout ça pour dire qu'une équipe de recherche s'appuie sur des échantillonnages et dépose des résultats qui ont vocation à faire sens au-delà des conditions du laboratoire leader. Et qui, de ce fait, mettent en mouvement des compétences extérieures à des moments déterminés. C'est une analogie avec l'oeuvre d'art, si l'on veut bien adopter une perspective plus large. De même que l'oeuvre d'un artiste finit par lui échapper et se trouve investie du sens que veulent bien lui donner ses admirateurs, les percées scientifiques ont forcément des résonances au-delà de leur périmètre expérimental, et concernent tôt ou tard des constellations d'autres chercheurs, qui se trouvent appartenir à des univers emboîtés.

A cet égard, il faut aussi considérer l'architecture organique du travail en laboratoire. Pour traduire en expériences finalisées la stratégie globale de recherche d'Anabelle, 5 collaborateurs sont à la tâche, qui viennent d'horizons les plus divers (nationalités belge, française, grecque, italienne et tchèque). En effet, l'économie des circuits courts, du commerce de proximité et de la préférence nationale qui jouit d'un capital de sympathie dans les opinions publiques n'a pas sa place dans les milieux de la créativité, qu'elle soit scientifique ou artistique. Une équipe attelée à des investigations pointues, sous la pression d'une concurrence internationale de tous les instants, ne pourra faire sa place que si elle recrute à un moment donné les collaborateurs les plus finement ajustés à leur tâche, sans égard pour leurs passeports.
En dernier ressort, l'économie de la recherche ne circule qu'à travers des réseaux connectés internationalement. Pour Anabelle, cela représente en aval la conduite de son groupe multicolore, mais aussi en amont le suivi des données pertinentes produites dans 20 à 30 laboratoires capables de concourir au même niveau à l'échelle planétaire.



Aujourd'hui, Anabelle vous laisse un message simple, qui est le fruit de son expérience en matière de créativité scientifique. Davantage que la conjugaison d'une multiplicité d'origines qui est devenu une évidence dans le montage de projets, c'est la conjugaison des héritages de grands maîtres (les vrais patrons de la recherche au sens de l'originalité absolue de leur mode de pensée et de leurs méthodes d'investigation) qui permet d'optimiser une équipe désireuse d'émerger. Voyez-vous, c'est un peu comme dans un autre domaine artistique: celui de la musique. On ne fait de la bonne musique qu'avec d'excellents interprètes. Mais peu importe la nationalité de ceux-ci, pourvu qu'ils aient été formés par tel ou tel grand maître qui aura laissé une empreinte indélébile.

La leçon qu'il faut en tirer pour de jeunes créatifs serait certainement celle-ci: après une bonne formation de base, allez faire vos preuves chez les meilleurs du moment, comme le font les "compagnons du tour de France", qui perpétuent le savoir faire des métiers d'art. Si vous cherchez l'excellence, soyez compagnon du tour du monde. Anabelle a donc fait sa biochimie chez l'un de ces maîtres, sa génétique chez un autre, et sa découverte de la complexité des cellules humaines chez un troisième. Le chercheur est un passeur de relais, tout le contraire d'une tour d'ivoire. A bon entendeur ... salut !

17/05/2017

Fabrice, l'homme-frontière

(et Till le bouffon...)

Fabrice est le benjamin de notre petite équipe. Ce qui fait sens pour lui, c'est particulièrement la notion de frontière. C'est un praticien du grand écart qui nous fascinait dans l'article précédent. Un pied dans un domaine, l'autre pied dans un domaine connexe, comme pour taquiner les deux pôles d'une batterie: du même coup, Fabrice se sent traversé par un courant électrique.

Son travail de recherche, qui le conduit à une thèse en septembre, se place précisément sur une frontière entre plusieurs domaines (chimie organique et chimie minérale, le vivant et l'inerte) qui ont chacun sa relative autonomie, jusqu'au moment où s'est présentée l'opportunité d'emprunter à l'un des acquis entrant dans l'élaboration de solutions pour l'autre. Il vous en parlera mieux que moi.

Autre frontière pour Fabrice, celle qui distingue des univers musicaux aussi différents que la musique classique et les musiques contemporaines (jazz, folk, pop, expérimentales). Fabrice n'est donc pas seulement un chercheur scientifique, il est aussi un chercheur d'expression musicale, pianiste et compositeur, et son inspiration puise encore à la jointure entre ces esthétiques différenciées.



Il est photographié devant la statue de Till l'Espiègle (et Nele sa compagne). Ce personnage imaginaire, de son vrai nom Thyll Eulenspiegel (Uylenspiegel en néerlandais), serait né au XVIème siècle en Basse-Saxe et eut la bonne fortune d'avoir été mis en scène dans plusieurs romans populaires en Allemagne et aux Pays-Bas.  Till est l'archétype du bouffon attaché aux cours princières, du saltimbanque des réjouissances populaires, du provocateur des puissants, de l'iconoclaste de toutes les "bien-pensances". Dans le roman du belge De Coster, il se déclare "fils qu'Heureux Hasard eut un jour avec Bonne Aventure". Il multiplie les farces en tous genres, se joue du langage en tordant le sens des mots, et ose tourner en dérision la réputation des notables. Les symboles du miroir et de la chouette qui sont inscrits dans son nom germanique renvoient à une forme de clairvoyance, et au jeu inépuisable des images inversées, pour poser aux suffisants de ce monde la question dérangeante du vrai et du faux.



Attention: rien n'est fortuit, tout se résout en opportunités. Fabrice s'est fait photographier sous le regard amusé de Till l'Espiègle, pour nous dire peut être que la figure du bouffon, celle qui défie le sens commun, n'est pas complètement étrangère au mode créatif. Dans la science comme dans la musique, sortir du cadre est le chemin le plus court pour y retourner.

03/05/2017

Bonjour, Flora. Tu embarques ?

Bonjour,

Bravo pour l'organisation !
J'aime beaucoup vos questions et je pense que je vais prendre le temps de contribuer au blog.
En attendant, voici mes informations:

Je m'appelle Flora Vincent, j'ai 28 ans et suis née à côté de Marseille. Je viens de terminer ma thèse à l'Ecole Normale Supérieure à Paris, où j'ai passé trois ans à analyser les données issues d'une expédition internationale appelée Tara Océans (voir video, ci-dessous) et m'envole pour l'Israël en Septembre pour poursuivre ma carrière de chercheuse en microbiologie marine. Née d'un père français et d'une mère japonaise, d'un ingénieur et d'une littéraire, et ayant passé un peu de temps à l'étranger, le choix d'une thèse en France n'a pas été clair dès le début, j'ai même tout fait pour l'éviter. Une suite de rencontres, mentors, et (beaucoup) de stages ont créé des opportunités que je ne pouvais refuser.

Au cours de ma thèse j'ai co-fondé et co-dirigé pendant 4 ans une association de promotion des sciences et de la mixité en science, à travers le développement et la diffusion d'outils innovants basés sur le numérique, la collaboration avec des artistes, des non scientifiques, avec l'objectif de susciter une curiosité scientifique auprès du grand public en usant d'un ton décalé et ludique. Une aventure entrepreneuriale mais "sans but lucratif " dont j'ai beaucoup appris en terme de management, relationnel, gestion de projet et levée de fond et qui m'a permis de sortir la tête du labo quand il fallait prendre l'air... 

Une citation: "Les mots qui ont un son noble contiennent toujours de belles images"; j'étais obligée de citer Pagnol, étant originaire d'Aubagne !

Voilà, en quelques lignes, une brève présentation. J'ai hâte de lire les vôtres.



30/04/2017

Les pionniers du XXIème siècle

Hier, Bertrand Piccard passait sur une antenne connue pour présenter son nouveau livre. Il parle bien parce qu'il vit effectivement ce qu'il dit, et sa crédibilité balaye les critiques. J'ai cueilli une réflexion qui vise au coeur du débat de notre Table Ronde: il y a différentes façons de se forger une mentalité de pionnier et, parmi celles-ci, il n'y en a pas de mineure. Les pionniers du XXIème siècle n'ont pas de leçons à recevoir de leurs anciens.

Pour mémoire, Bertrand Piccard est ce psychiatre, aérostier, promoteur des technologies propre, qui vient d'accomplir avec André Borschberg le tour du monde en 17 étapes aux commandes d'un avion solaire sans une seule goutte de carburant. Le même homme, qui n'en est pas à son premier défi, avait déjà effectué un tour du monde en ballon sans escale.

A l'occasion de cet entretien télévisé, il évoque les personnalités de son père et de son grand-père. Le premier, océanographe, porte à son palmarès le record du monde de profondeur en plongée (10916 mètres dans la fosse des Mariannes) à bord d'un célèbre bathyscaphe. Le second, physicien, fut le premier être humain à avoir pénétré en ballon la stratosphère, démontrant qu'il était possible de survivre au-dessus de la limite des 5000 mètres sur une longue durée. L'animateur posa alors cette question à Bertrand Piccard (rapportée approximativement): "En 3 générations, les Piccard ont poussé les possibilités humaines aux extrêmes dans le sens de la hauteur d'abord, puis de la profondeur et, enfin, dans le sens horizontal qui enveloppe la planète. Vous avez 3 filles. De quoi pourraient-elles bien, à l'exemple de leur prestigieuse ascendance, se faire les pionnières désormais, alors que toutes les directions spatiales ont été défiées dans la famille?

La réponse paisible de Bertrand Piccard nous concerne au premier chef. Il atteste que les nouveaux continents à explorer ("terra incognita", disaient les géographes), où exercer la créativité des nouvelles générations, sont sans doute d'un autre ordre. Il y voit la médecine avec le fonctionnement du cerveau par exemple, les causes de la pauvreté, les sciences de l'éducation, les droits de l'homme, la gestion durable des ressources, etc. Son argument est fort: ces thèmes ne sont pas seulement des discours qui feraient les délices des grands débats publics. Ils sont effectivement des espèces de "boîtes noires", devant lesquelles la capacité de l'homme à comprendre et à délier les déterminants est encore balbutiante. Ce sont en réalité des aires de conquêtes futures, qui ont besoin de leurs pionniers, ceux-ci étant armés d'un esprit au moins aussi curieux, aventureux et audacieux que pouvait l'être le mental des explorateurs terrestres, spatiaux ou marins.

C'est aussi notre conviction, qui motive la participation de jeunes créatifs d'horizons parfois très éloignés. Ils veulent démontrer que même le respect humain et le souci d'un bien commun commandent une attitude pionnière. Et il n'est pas indifférent que ce soit une personnalité de culture scientifique qui prenne une telle position. Le grand-père Auguste Piccard, lui-même, est cité pour avoir déclaré en son temps:
"La question maintenant n’est pas tant de savoir si l’homme pourra aller encore plus loin et peupler d’autres planètes, la question est de savoir comment s’organiser de façon à rendre sur Terre la vie de plus en plus digne d’être vécue".







03/03/2017

Il y a quelque chose en nous de Tennessee

Qui sont ces "jeunes en mode créatif" ? Cette Table Ronde ne projette-t-elle pas des figures parfois caricaturales? Qui peut se reconnaître dans tel ou tel chercheur aventureux, happé par la jet-société des milieux savants?

Nous sommes d'accord, certains de nos témoins choisis sont des chercheurs de première classe, et il y a de bonnes raisons à cela. Vous les trouverez à la lecture de notre chapelet d'articles ci-dessous. Leur niveau élevé n'est cependant pas hors sujet. S'ils en sont arrivés là, ce n'est pas complètement un hasard, ni le coup de baguette magique qu'une bonne fée aurait porté sur leur front innocent dès l'âge du berceau. Ils ont en effet mis en oeuvre un arsenal de dispositions personnelles, précisément celles sur lesquelles notre Table Ronde voudrait porter l'accent. Et puis, ces dispositions d'esprit ne sont pas l'apanage exclusif des hautes sphères de la recherche scientifique, elles y sont simplement plus faciles à illustrer. En revanche, les créateurs petits ou grands, connus ou inconnus, sont bien plus répandus, et vous les rencontrez sûrement.

Essayons ce petit jeu: êtes-vous aussi un chercheur, par certains côtés? Le plus simple pour tenter de répondre honnêtement à cette question, serait d'atteindre notre vérité par approches successives.

Les scientifiques sont essentiellement des chercheurs de savoir. C'est pour nous démonstratif. Mais que dire des chercheurs de savoir faire? Pensons au savoir faire technique, au savoir faire artisanal, au savoir faire associatif ou psycho-social, et ainsi de suite. C'est, par exemple, depuis la nuit des temps que les apprentis artisans privilégient le voyage, la recherche des maîtres de leur époque, la multiplicité des expériences in situ pour parvenir à ce qu'il est convenu d'appeler avec respect : la maîtrise. Les artisans savent que leur domaine ne connaît aucune frontière. Leur vérité à eux, c'est d'essayer, de pratiquer, de rencontrer, de se mesurer à d'autres, de perfectionner sans cesse. Ne sont-ils pas de merveilleux chercheurs?

Et puis, tous les domaines d'expertise jusqu'à la musique ou le sport (quoi de plus populaire aujourd'hui?), vivent et se renouvellent d'émulation, de concurrence et de confrontation. Les musiciens ou les sportifs professionnels ont bien des qualités des chercheurs scientifiques: la patience d'un travail acharné, l'entrainement et le recyclage permanent, les rencontres internationales, la mobilité personnelle, l'écolage auprès de maîtres incontestés, le besoin de prouver leur excellence, le dépassement de l'échec, la sensibilité personnelle à la reconnaissance des pairs, etc. Il y a chez eux une gourmandise du défi qui n'est pas étrangère à l'appétit de tous les chercheurs de bonne volonté.

N'écartons pas la possibilité qu'un chercheur veille en chacun de nous. Nous entrons dans la version plus intime de la recherche. Pour se faire comprendre, rien de tel que les exemples caricaturaux, ne les dénigrons pas. Prenons le cas particulier de ceux ou celles qui sont en recherche de leurs origines, parfois une vie durant, soit qu'ils soient issus d'immigrés dont les familles souches se perdent dans tel ou tel naufrage, soit qu'ils soient nés sous X et demandeurs d'une parenté biologique, ou bien d'autres situations encore. Ce sont des recherches tenaces, volontaires, passionnées, ouvertes à tous les possibles, de nature à remettre en cause la personne et toutes ses certitudes. Les recherches personnelles revêtent tant d'autres formes suivant le vécu de chacun, avec ce point commun qu'elles sont souvent déclenchées ou alimentées par un échec, un événement dramatique, un vide intérieur, un obstacle ou un changement de cap. A l'évidence, l'intranquillité a quelque chose à voir avec la recherche.

Dans la sphère de la spiritualité et du mysticisme, il est d'usage d'évoquer aussi quelques grands chercheurs, mais point n'est besoin de monter si haut. Vous conviendrez avec moi qu'un même fil rouge réunit les chercheurs de tous poils, et particulièrement ceux qui viennent d'être mis en scène brièvement pour les besoins de la démonstration. Ce fil rouge doit être la recherche de sens. Chacun dans sa quête construit ses propres itinéraires pour donner du sens à sa manière d'être au monde. Le sens d'un artiste, d'un musicien, d'un sportif, d'un artisan, d'un cuisinier, d'un ingénieur ou d'un scientifique. Le sens par la capacité à être créatif dans sa sphère d'existence.

Les itinéraires sont donc à trouver et à pratiquer. Mais ne jamais poser son sac et s'assoir bêtement sur le talus. Chercher et trouver les chemins. Là-bas, au-delà des horizons que nous n'avons pas choisis. De là l'exercice que nous nous proposons en Table Ronde. Parfois, en effet, une carte ou un bon GPS rendent la recherche d'itinéraires plus accessible. C'est tout l'intérêt de pouvoir partager l'expérience d'un modèle, d'un prédécesseur, ou d'un pionnier. Entendre un scientifique ou un artiste témoigner de sa recherche, et nous révéler quelques uns des atouts qui peuvent lui ouvrir la voie, ce n'est pas ériger le statut du chercheur au-dessus du commun des mortels. C'est mettre l'eau à la bouche, donner à chacun d'y croire, donner envie. Il n'en va pas autrement de nos modèles littéraires. Vous souvenez-vous de ceux de votre adolescence?

Avec cette formidable envie de vie
Ce rêve en nous c'était son cri à lui 
Oh, oui! Tennessee,
Y a quelque chose en nous de Tennessee.



24/01/2017

L'ouverture féconde, ou l'errance du chercheur



Feuille de route : notre choix provisoire de questions sur le contexte créatif

Ces questions sont optionnelles, et ne prétendent pas faire le tour de toutes les composantes de la formation individuelle à la créativité. Comment fonctionne un esprit créatif ? La créativité dans la recherche est-elle de l'ordre de l'inné ou de l'acquis? Existe-t-il des comportements créatifs, des moments créatifs? La créativité est-elle une valeur dans nos sociétés? Plutôt que d'en faire un discours académique, ne serait-ce pas l'occasion de laisser nos jeunes chercheurs, ceux qui reviennent de la première ligne du front, nous conter leur façon d'apprivoiser l'énergie créative. Leurs histoires parleront par elles-mêmes.


1.     Nouvelles appartenances en réseaux : Avec vos habitudes de participation dans des projets sans frontières, avez-vous conscience de bénéficier d’une ‘famille élargie’, constituée (peut-être de manière simplement opportuniste) d'acteurs disséminés dans les implantations partenaires d'une même expérience ? Cette ‘famille élargie’ commence-t-elle à créer ses habitudes internes de convivialité dans la mixité ? Réalité pour vous de la notion de "recherche sans murs" si vous êtes scientifique, ou de "délibérations en cercles concentriques" si vous êtes un acteur social, ou "d'affinités littéraires/esthétiques/existentielles" si vous êtes un auteur?

2.     Fonctionnement des réseaux virtuels : Compte tenu des nouveaux moyens de communication, comment échangez-vous sur base régulière, ou dans des circonstances provoquées, avec les autres partenaires entrant dans vos réseaux (moyens techniques de communication, plates-formes, nature et fréquences des échanges à distance, formats d'expression, fonctions de l'image et de l'écrit, tyrannie du buzz ou mise en récit, etc) ?

3.     Impact des réseaux virtuels : Comment se répercutent sur vos travaux les interactions avec ceux qui collaborent ou pourraient collaborer avec vous, par delà les frontières disciplinaires, institutionnelles et/ou géographiques ? Y a-t-il concurrence entre la "fraternité" des réseaux et la "paternité" des travaux ? Entre l'instantanéité des réseaux connectés (temps court) et le renouvellement des connaissances et des bonnes pratiques (temps long).

4.    Métissage institutionnel : Vos propres équipes, ou vos partenaires naturels dans une configuration moins encadrée, ne sont-ils pas de plus en plus constitués d'une constellation de nationalités différentes in situ ? L'internationalisation de l'humain aurait-elle gagné vos lieux de travail ? Votre rapport à la performance et à l'efficacité, éventuellement votre propre réalisation dans le travail, se ressentent-ils de la cohabitation avec des identités multiples ?

5.     Sérendipité : Par un regard rétrospectif sur votre parcours, si vous considérez vos succès et vos échecs au cours du cheminement paradoxal de vos travaux, comment évaluez-vous la part de la surprise, de l’inattendu, de l'improvisation, du choc des idées, voire d'une erreur, sous l'emprise d'un environnement humain changeant et interactif ?

6.     Inconfort de l'altérité consentie : En même temps, ce tissu humain qui puise dans des origines différentes, et qui devient multidisciplinaire et multiculturel, ne vous expose-t-il pas à devoir affronter des stéréotypes, ou à devoir surmonter des barrières conceptuelles et linguistiques ? Lesquelles ... et comment les surmonter au prix d'une réelle dépense énergétique ? Surtout: pourquoi les surmonter ?

7.     Dimension intergénérationnelle : Comment vous arrive-t-il de vivre au travail le rapport "mentor" à "disciple", "expert" à "usager", "maître" à "apprenti", "légitime" à "franc-tireur"?  Quelle espèce de jeu se met en place avec vos anciens, susceptible de libérer (ou, au contraire, de contraindre) votre propre créativité ? Avez-vous vécu une situation inversée, dans laquelle l'ancien a pu tirer un avantage d'actes ou de paroles posés par sa jeune garde ?

8.     L'arroseur arrosé : Vous êtes à un âge qui vous a déjà fait abandonner votre condition d'étudiant, et qui vous amène peut être à devoir commencer à enseigner, ou à encadrer, à votre tour. Pourtant, le partage inépuisable des connaissances montre qu'il ne faut jamais cesser d'apprendre, et qu'il est peut être vain de prétendre enseigner sans pour autant réveiller sa naïveté d'écolier. Faites-nous part des situations qui font de vous des enseignants enseignés, et étonnez-nous sur la diversité des sources (codifiées ou empiriques) qui renouvellent encore votre regard, vos références, ou vos représentations du réel.

9.    Importance de la discontinuité d'un parcours : Le prospectiviste Thierry Gaudin a dit : « La création procède le plus souvent de personnes déplacées … Elle est une émanation de l’écoute environnante ». Il semble en effet particulièrement fécond d'être à même de déplacer ses points de vue, au point de pratiquer le décentrement comme une saine attitude professionnelle. Est-ce bien votre expérience ? Ou celle de certains collègues dont les trajectoires ont pu vous impressionner ?

10.  Implications sociales d'une mobilité de la tête et des jambes : En évoquant le programme de mobilité des étudiants et apprentis ERASMUS, le sémiologue Umberto Eco a dit: «C’est aussi une révolution sexuelle. Les couples mixtes que ce programme a suscité à hauteur du million, et leurs enfants bilingues à naître, constitueront une nouvelle élite européenne qui laisse augurer un avenir plus convaincant à notre Europe ». Dépassant l'anecdote, avez-vous le sentiment qu'une certaine disponibilité professionnelle à intégrer la différence se répercute positivement dans l'intime (la vie domestique, familiale ou affective, sans oublier les loisirs) ?

11.  Créatif, parce que culturellement situé : Le juriste Dominique Rousseau, expert notamment de l’agence d’évaluation de la recherche, déclare : « Il n’y a pas de passerelle entre les élites intellectuelles et les élites économico-politiques ; ces dernières ne lisent plus ! ». Voir aussi Philippe Coulangeaon: les métamorphoses de la distinction (Grasset, 2011). En tant que personne animée par un esprit curieux, impatient et créatif, avez-vous le sentiment de rejoindre une élite et, si oui, laquelle ? Que lisez-vous encore en dehors de votre spécialité ? L'inspiration tient-elle (en partie) à des lectures mémorables ? Certaines lectures ont-elles été pour vous l'équivalent de rencontres initiatrices ?

12.  Réductionnisme versus holisme : Le macrocosme social expérimente dans nos contrées le soit-disant "repli identitaire", qui n'est pas sans évoquer, dans le microcosme des chercheurs ou experts, le "repli réductionniste" qui les guette. Le confort de sa propre spécialité évidemment sécurise ... Il n'y a pas que sa culture ethnique, linguistique ou nationale qui procure à soi un nid douillet. On peut en dire autant de la culture professionnelle, à laquelle on se donne d'autant plus volontiers qu'elle procure inconsciemment le plaisir d'ostraciser tous ceux qui n'en partagent pas les lumières. Comment votre esprit spéculatif parvient-il à combiner une part légitime de ce réductionnisme professionnel et, en même temps, une lucidité holistique qui donne droit à tout un contexte et matière à relativisation? Comment se pratique chez vous cette gymnastique intellectuelle du yin et du yang pour décrypter le réel qui vous entoure ?

13. Un antidote pour la morosité de la société :Vous sentez-vous différent (engagé, curieux, animé, équilibré, peut être heureux) depuis que vos expériences vous ont délocalisé et projeté dans un univers prospectif, où le regard est multiple, la pensée vagabonde et la parole libérée ? Pensez-vous que de telles dispositions soient propres au milieu universitaire, comme aussi à celui de l'apprentissage, ou qu'elles puissent contaminer d’autres collectivités humaines dans la vie de la cité ? Ces dispositions sont-elles essentielles à la créativité en général? Le repli sur soi, au contraire, est-il une stérilisation ?

Tout autre ressenti ? C'est le moment de VOTRE question. Votre vécu est unique, et il nous importe de saisir quel événement, quelle expérience, quel contexte réactionnel ont pu déterminer des virages critiques dans votre jeune carrière, dont vous avez à vous féliciter rétrospectivement. A vous de nous surprendre. 

21/01/2017

Poser la question de la créativité, c'est d'abord s'adresser à la liberté de la personne

Derrière les chercheurs: des personnes; derrière ces personnes: une tension.

Les institutions scientifiques mettent sur pied des politiques de rencontre du public, et nul ne pourrait le faire à leur place. Elles disposent des infrastructures, du potentiel humain, et d'une histoire originale qui les mettent en devoir de se re-situer en permanence au coeur de la société. C'est de ces institutions qu'il faut apprendre, avec tout le respect qui est dû aux lieux du savoir. Et cependant, n'oublions pas que les institutions scientifiques sont des constructions transitoires, et que leur mérite principal est d'héberger une collectivité d'hommes et de femmes d'élection qui, dans de bonnes conditions, se révèlent performants et créatifs.

Einstein a reçu le prix Nobel en 1921 quand il exerçait encore en Allemagne, mais ne faut-il pas relativiser le mérite du Kaiser Wilhem Institut de Berlin qui l'hébergeait, quand on sait que l'esprit de ce penseur universel avait été à l'oeuvre en 1896 à l'Institut Polytechnique de Zürich, en 1902 à l'Office des Brevets de Berne, en 1911 à l'Université de Prague, et qu'il continuerait ensuite sa carrière en Belgique et aux USA (voir : Le pays qu'habitait Albert Einstein, Etienne Klein, Acte Sud, 2016).  Il faut sans doute distinguer le mérite de l'Institution qui héberge - c'est le mérite d'avoir repéré des individus prometteurs et de leur avoir procuré un environnement stimulant - du mérite du chercheur individuel - qui devient créatif au cours d'un cheminement intellectuel au déterminisme pour le moins erratique. C'est bien la personne qui est plus ou moins féconde, l'institution jouant le rôle d'une matrice qui se veut vivifiante (voir : De l'innovation, Thierry Gaudin, L'Aube, 1998).

L'idée que nous creusons à "Poursuivre" pour notre bien modeste Table-Ronde est celle-ci : c'est dans les parcours individuels que résident peut être bien des secrets de l'instinct créatif, en Sciences mais aussi dans les Arts et les Lettres. Plutôt que d'interroger les Institutions en tant que telles, il nous tente d'interroger de jeunes prometteurs dans la recherche et l'expérimentation, si possible celles et ceux qui, sur base volontaire, auraient à partager avec nous un témoignage de mobilité intellectuelle, géographique, académique, constituant sans doute le terreau enrichi de leurs enthousiasmes et de leur productivité. Plus les sources sont nombreuses et variées, nous semble-t-il, plus s'amplifie la soif de celle ou de celui qui se penche sur le mystère de sa vocation de chercheur. La fécondité n'a-t-elle pas quelque chose à voir avec le multiple?