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Pour entrer directement dans le vif du sujet, voir l'article: L'ouverture féconde ou l'errance du chercheur, du 24 janvier 2017, référencé par le libellé "feuille de route".

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17/05/2017

Fabrice, l'homme-frontière

(et Till le bouffon...)

Fabrice est le benjamin de notre petite équipe. Ce qui fait sens pour lui, c'est particulièrement la notion de frontière. C'est un praticien du grand écart qui nous fascinait dans l'article précédent. Un pied dans un domaine, l'autre pied dans un domaine connexe, comme pour taquiner les deux pôles d'une batterie: du même coup, Fabrice se sent traversé par un courant électrique.

Son travail de recherche, qui le conduit à une thèse en septembre, se place précisément sur une frontière entre plusieurs domaines (chimie organique et chimie minérale, le vivant et l'inerte) qui ont chacun sa relative autonomie, jusqu'au moment où s'est présentée l'opportunité d'emprunter à l'un des acquis entrant dans l'élaboration de solutions pour l'autre. Il vous en parlera mieux que moi.

Autre frontière pour Fabrice, celle qui distingue des univers musicaux aussi différents que la musique classique et les musiques contemporaines (jazz, folk, pop, expérimentales). Fabrice n'est donc pas seulement un chercheur scientifique, il est aussi un chercheur d'expression musicale, pianiste et compositeur, et son inspiration puise encore à la jointure entre ces esthétiques différenciées.



Il est photographié devant la statue de Till l'Espiègle (et Nele sa compagne). Ce personnage imaginaire, de son vrai nom Thyll Eulenspiegel (Uylenspiegel en néerlandais), serait né au XVIème siècle en Basse-Saxe et eut la bonne fortune d'avoir été mis en scène dans plusieurs romans populaires en Allemagne et aux Pays-Bas.  Till est l'archétype du bouffon attaché aux cours princières, du saltimbanque des réjouissances populaires, du provocateur des puissants, de l'iconoclaste de toutes les "bien-pensances". Dans le roman du belge De Coster, il se déclare "fils qu'Heureux Hasard eut un jour avec Bonne Aventure". Il multiplie les farces en tous genres, se joue du langage en tordant le sens des mots, et ose tourner en dérision la réputation des notables. Les symboles du miroir et de la chouette qui sont inscrits dans son nom germanique renvoient à une forme de clairvoyance, et au jeu inépuisable des images inversées, pour poser aux suffisants de ce monde la question dérangeante du vrai et du faux.



Attention: rien n'est fortuit, tout se résout en opportunités. Fabrice s'est fait photographier sous le regard amusé de Till l'Espiègle, pour nous dire peut être que la figure du bouffon, celle qui défie le sens commun, n'est pas complètement étrangère au mode créatif. Dans la science comme dans la musique, sortir du cadre est le chemin le plus court pour y retourner.

03/05/2017

Bonjour, Flora. Tu embarques ?

Bonjour,

Bravo pour l'organisation !
J'aime beaucoup vos questions et je pense que je vais prendre le temps de contribuer au blog.
En attendant, voici mes informations:

Je m'appelle Flora Vincent, j'ai 28 ans et suis née à côté de Marseille. Je viens de terminer ma thèse à l'Ecole Normale Supérieure à Paris, où j'ai passé trois ans à analyser les données issues d'une expédition internationale appelée Tara Océans (voir video, ci-dessous) et m'envole pour l'Israël en Septembre pour poursuivre ma carrière de chercheuse en microbiologie marine. Née d'un père français et d'une mère japonaise, d'un ingénieur et d'une littéraire, et ayant passé un peu de temps à l'étranger, le choix d'une thèse en France n'a pas été clair dès le début, j'ai même tout fait pour l'éviter. Une suite de rencontres, mentors, et (beaucoup) de stages ont créé des opportunités que je ne pouvais refuser.

Au cours de ma thèse j'ai co-fondé et co-dirigé pendant 4 ans une association de promotion des sciences et de la mixité en science, à travers le développement et la diffusion d'outils innovants basés sur le numérique, la collaboration avec des artistes, des non scientifiques, avec l'objectif de susciter une curiosité scientifique auprès du grand public en usant d'un ton décalé et ludique. Une aventure entrepreneuriale mais "sans but lucratif " dont j'ai beaucoup appris en terme de management, relationnel, gestion de projet et levée de fond et qui m'a permis de sortir la tête du labo quand il fallait prendre l'air... 

Une citation: "Les mots qui ont un son noble contiennent toujours de belles images"; j'étais obligée de citer Pagnol, étant originaire d'Aubagne !

Voilà, en quelques lignes, une brève présentation. J'ai hâte de lire les vôtres.



23/03/2017

Le "GO-BETWEEN"

Un extraterrestre, ou la quintessence du terrien ?

Tous les créatifs sont, d'une certaine manière, des chercheurs de sens. Parfois, il suffit d'en rencontrer un pour comprendre au détour de son propre témoignage de vie toute la chimie complexe qui le traverse, et qui le projette vers des horizons de sens insoupçonnés. Justement, voici une telle rencontre, capable de nous secouer.

"Philosophe accueilli parmi les économistes, penseur continental d’orientation anglo-saxonne, universitaire dont la formation doit plus à l’auto-stop qu’aux auditoires et qui, aujourd’hui encore, étoufferait d’être confiné dans sa tour d’ivoire, Flamand francisé, chrétien incroyant, père germain de quatre enfants juifs, habitant d’une rue dont une extrémité est l’épicentre de l’Europe politique et l’autre la commune la plus pauvre du Royaume, j’ai en effet souvent été stupéfait, du niveau de mon quartier à celui de la planète, par le degré auquel la méconnaissance, la méfiance, la timidité, la peur de l’autre, l’absence d’un langage commun rendent laborieuse, inefficace, improbable, ou simplement inexistante, une communication pourtant essentielle pour pouvoir apprendre, décrisper, débloquer, avancer."

Philippe van Parijs, à la pointe d'une philosophie de l'homme depuis de nombreuses années, a confié ce témoignage puissant lors de sa réception du Prix Franqui en 2001 à Bruxelles. Sa créativité philosophique a pu émerger sur un terrain écartelé qu'il reconnaît, lui-même, avoir été à l'origine de sa formation intellectuelle (bien davantage que les auditoires, ose-t-il dire ...). Sa présence au monde s'est située dans un entre-deux dès l'âge de l'éveil et des premiers émois.

Certains diront peut être que notre philosophe a déjà l'âge d'être grand-père, et que l'exemple qu'il semble livrer pour le propos de notre blog ne s'adresse que d'assez loin à la génération des jeunes créatifs qui nous entourent.

Détrompons-nous ! Ce qu'essaye de nous transmettre Philippe van Parijs, c'est précisément la vertu initiatique de ce bain de jouvence dans un climat de mixité et de contrastes dès la venue au monde. Il n'est pas anodin pour sa formation de jeune homme qu'il ait été baptisé (intellectuellement, il s'entend) aux eaux mêlées de divers bassins culturels avoisinants. La fécondité des sources mêlées s'opère comme une initiation de l'homme en devenir, dans les circonstances de sa propre éclosion au monde. L'homme qu'il est aujourd'hui, et la pensée au long cours qu'il épouse patiemment, ont bien été forgés dans l'expérience des jeunes années. Etre ainsi suspendu dans l'entre-deux devrait évidemment constituer l'expérience décisive pour alimenter un désir vital à vouloir traverser les frontières (go-between). Dès le début de l'existence, la qualité de cette prise de conscience de sa propre incongruité au milieu d'une infinie diversité, voilà de quoi fonder l'intensité d'une pensée créative à l'âge mûr. Qu'on se le dise.

25/02/2017

Quand le monde entier entre dans les cerveaux

Nos chercheurs dans le réel, à l'instar des artistes dans l'imaginaire, fabriquent donc de l'antidote à la morosité. Et, sans doute, sont-ils les premiers à s'en nourrir pour entretenir la flamme. Mais leurs confidences nous en apprennent davantage, puisqu'ils ajoutent à l'énumération de ce qui les titille à la tâche ce phénomène ignoré du plus grand nombre : leur milieu de travail, très concurrentiel, s'est ouvert en l'espace d'une génération à tous les esprits curieux de la terre.

Ils vous l'expliqueront mieux par eux-mêmes, mais voici pour faire simple : leurs équipes, tant réelles que virtuelles, sont complètement mondialisées, et donc profondément métissées. Distinguons les termes.

1) Mondialisées, dès lors que les pôles de recherche productifs se montrent capables, comme des éponges, d'aspirer vers eux des flux de jeunes chercheurs de tous les continents. Les meilleurs d'entre eux et les plus mobiles n'hésitent plus de nos jours à s'exporter de toutes les latitudes, le temps d'un projet post-doctoral ou d'un contrat de financement. Mais les réseaux d'échanges et de collaborations sont encore plus vastes par leur dimension virtuelle, les projets internationaux se montant de plus en plus sous la forme de laboratoires sans murs, irrigués par les canaux modernes de l'information et de la communication. Ce brassage n'affecte plus seulement les patrons de laboratoires très convoités de par le monde, mais effectivement tous les échelons de l'apprenti chercheur méconnu jusqu'au baroudeur cumulant les affectations post-doctorales en série.

2) Métissées, comme effet induit et néanmoins spectaculaire, puisque toutes les origines peuvent se rencontrer incidemment, ce qui amène les équipes à devenir des creusets multi-ethniques et multi-culturels. Certes, ce n'est pas l'objet, dira-t-on. Ce n'est peut-être pas l'objet, mais ce n'est pas neutre pour autant, et il y a fort à parier que cela puisse devenir un facteur d'émulation et de créativité. Parfois de tensions aussi, mais qui dit tension dit rebond. La tension, c'est la vie thermodynamique.

Voilà donc un témoignage vivement attendu de la part de nos chercheurs. Pour l'exprimer un peu vigoureusement, il faudrait peut-être leur demander si le formatage traditionnel anglo-saxon de la recherche sans frontières est si fort qu'il puisse neutraliser toute diversité culturelle, ou si la richesse du multi-culturalisme des milieux de la création, en réalité, ne serait pas de nature à influencer la manière d'être, de communiquer et donc de penser du chercheur. Entre nous, les points de vue sont disparates. Parlant pour les milieux de la recherche scientifique de haut niveau, Anabelle considère que l'enrichissement culturel compte assez peu dans les modes de fonctionnement du laboratoire, où la tradition académique a installé depuis longtemps une langue exclusive, l'anglais international, et des codes de conduite ainsi que des bonnes pratiques issus du monde anglo-saxon et universellement admis. En réalité, il n'est pas trop difficile d'imaginer que l'empreinte du métissage sur le décloisonnement de la pensée soit plus perceptible dès que l'objet des recherches se rapproche de l'humain et du social, alors qu'elle tend à se neutraliser tant que l'enjeu reste circonscrit à la production de savoirs codifiés et d'artéfacts matériels. Arnaud nous parlera volontiers de l'éclairage culturel dans la résolution de conflits et dans l'art du compromis.

14/02/2017

A quoi sont-ils plus sensibles ?

Mais qu'est-ce donc qui les titille ainsi ?

Chris et Helga (précédents articles) sont des chercheurs exemplaires, on l'aura compris, mais pas exceptionnel. Leur expérience particulièrement forte a bénéficié d'un plus grand nombre d'années pour s'être construite, mais les jeunes générations les suivent et reproduisent avec une nouvelle fraîcheur les comportements "ouverts" qui font de tout homme un chercheur. L'idée qui transparaît est que le chercheur n'est pas nécessairement un savant (il peut le devenir), mais il est quelqu'un capable d'endosser le costume de l'aventurier ou du détective, sans crainte de se mettre en danger.

Nos plus jeunes chercheurs ont aussi quelque chose à nous dire au regard de leurs itinéraires récents, jamais achevés, aussi riches d'enseignement qu'ils sont souvent bousculés et sujets à digressions. Vont-ils confirmer pour nous cette intuition, selon laquelle les chercheurs prédisposés au succès auraient en commun moins le privilège du savoir qu'une aisance comportementale à sortir du cadre et une mobilité intellectuelle insatiable?

Si nous leur demandons ce qui les fait courir ainsi, et ce à quoi ils sont d'autant plus exposés, certains d'entre eux (AD, LC, CR) désignent - entre autres - les aspects suivants (voir la "feuille de route" publiée précédemment) de leur engagement :
·         >   Antidote à la morosité de la société (AD, LC, CR)
·         >   Dimension intergénérationnelle (AD, LC)
·         >   Métissage institutionnel (AD, LC, CR)
·         >   Sérendipité ou la séduction de l'imprévu (AD)
>        >   Non évidence de l'altérité consentie = le choc culturel (CR)
Ils peuvent en effet témoigner du rôle que jouent ces aspects-là dans leur expérience de jeunes, de chercheurs, et tout simplement d'acteurs sociaux. A suivre dans les articles à venir ...