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Pour entrer directement dans le vif du sujet, voir l'article: L'ouverture féconde ou l'errance du chercheur, du 24 janvier 2017, référencé par le libellé "feuille de route".

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11/06/2017

Marabout --> Bout de ficelle ...

La comptine n'a certainement pas quitté nos mémoires et doit pouvoir s'entendre encore aujourd'hui dans les cours des écoles primaires:
Marabout --> Bout de ficelle --> Selle de cheval --> Cheval de  course --> Course à pied --> Pied de cochon --> Cochon de ferme  --> Ferme ta boîte --> Boîte à sucre --> Sucre candi --> Qu'en dis-tu?
La construction en est intéressante, parce qu'elle fonctionne comme un labyrinthe dont les circonvolutions illustrent un parcours de connaissance aléatoire.



La pensée arborescente
Une comparaison plus fidèle encore serait celle d'une arborescence, que les botanistes qualifieraient volontiers de "cyme", telle qu'on peut en trouver dans les inflorescences de bourrache ou de myosotis. La linéarité d'une phrase commençante est donc interrompue, avant que celle-ci n'ait pu délivrer son sens particulier, par une bifurcation définissant un nouvel axe qui a sa linéarité propre et qui porte une signification nouvelle. L'axe secondaire connaît à son tour une bifurcation, et ainsi de suite. A chaque bifurcation, un nouveau palier de sens est atteint. En même temps, il n'y a pas de suite logique dans les sauts de paliers, autre que l'homophonie de la dernière syllabe du terme précédent, qui sert de pivot pour pouvoir enchaîner. En littérature, cette figure de style est repérée sous le nom de dorica castra. Au patrimoine oral enfantin, on parlera plutôt d'une "chanson en laisse".


L'illustration du pouvoir créateur d'une pensée vagabonde et associative, labyrinthique mais sans rompre le fil d'Ariane, se présente à l'infini dans les milieux de la recherche-innovation aussi bien que ceux de l'expression artistique. Mais pour n'en donner qu'un exemple parmi les plus originaux, pourquoi ne pas évoquer les carnets de Fabienne Verdier, peintre-calligraphe aux sources d'inspiration trans-culturelles, qui se livra en 2013 à l'expérience de devoir re-visiter les Primitifs flamands (Musées Groeninge de Bruges et Erasme d'Anderlecht). Exemple choisi à dessein pour ne pas perdre de vue la correspondance ontologique des univers scientifique et artistique quand surgit l'inspiration.

Les petits carnets à trésors de Fabienne Verdier
Donc Fabienne Verdier, face aux tableaux de Jan van Eyck ou de Rogier van der Weyden, choisit de graver les sursauts de son inspiration sous la forme journalière et aléatoire du carnet d'artiste (Voir: Fabienne Verdier et les maîtres flamands, Ed. Albin Michel, 2013). Elle, qui s'est vouée plutôt à la peinture abstraite, graphique et puisant à l'énergie primordiale du Qi des anciens lettrés chinois, la voilà qui produit des carnets destinés à recueillir l'effet de sa rencontre avec la peinture flamande. C'est donc un choc culturel, comme il en est régulièrement question au travers de ce blog. On y trouve, à côté des images dérivées de son exposition répétée à l'une ou l'autre grande oeuvre de la Renaissance, tous les errements de sa pensée qui se démultiplient en résonances dans les diverses autres cultures qui l'habitent. "Le caractère immédiat de la perception me fascine, tu vis et revis là, l'ici et maintenant total!" ne peut-elle s'empêcher de dire. Mais en même temps, l'expérience fulgurante qu'elle décrit demande, pour être traduite en carnet, un foisonnement inouï de diverticules et de représentations enchaînés par associations d'idées. Voici ce qu'en dit Alexandre Vanautgaerden:
- Ces minces cahiers privilégient le charme des commencements, dialogue fécond entre textes, diagrammes et images.
- un itinéraire impromptu, qui plonge dans l'ivresse des formes, le buissonnement des fractales ou l'arborescence du corail.
- des notes précieuses qui voisinent avec les joies de la contemplation de l'éphémère, de l'infiniment petit ou de l'étrangeté de la merveille.
- réservoir de trouvailles ou petit chaos du jour où ne manque pas l'humour.
- une topographie spirituelle, le cheminement du visible vers l'invisible.
la co-présence de langues multiples fait naître de surprenants stolons: Fabienne Verdier établit des correspondances sensibles pour exposer l'infinie richesse de l'idée qu'à chaque fois on peut se faire d'un mot.
 - l'image du labyrinthe permet à Fabienne Verdier d'introduire du discontinu, des bifurcations inattendues, du jeu.
Et Fabienne Verdier de s'exclamer elle-même: "Plonge-toi au coeur des mutations. N'aie pas peur de faire face à l'inconnu!"



Les errances opportunes du jeune prince de Serendip
La pensée arborescente, commune aux scientifiques et aux artistes inspirés, modélise de manière amusante un parcours de "sérendipité". La sérendipité (voir Pek van Andel et Danièle Bourcier, L'Act Mem, 2009; ou Sylvie Catellin, Le Seuil, 2014)  est la capacité à découvrir, inventer, créer ou imaginer quelque chose de nouveau sans l'avoir cherché, à l'occasion d'une observation surprenante et peut être déstabilisante, pourvu que celle-ci finisse par révéler sa propre logique (référence au mythe du prince de Ceylan).
Chaque bifurcation homophonique de notre petite comptine (introduction ci-dessus) nous jette à la face un nouveau concept sans rapport avec l'énoncé qui le précède, sauf qu'il nous appartient à nous de lui donner un sens particulier qui, dans ce petit jeu enfantin, utilise la clé d'une nouvelle homophonie.



Dans la vie réelle, et davantage encore dans la vie de toute personne créative, les trajectoires de sérendipité sont non seulement fréquentes, mais elles peuvent être délibérément valorisées. Une expérience donne-t-elle un résultat aberrant? Loin d'y voir un échec, le chercheur (scientifique ou artiste) en saisira l'opportunité pour mettre éventuellement à jour l'intervention de tel ou tel facteur occulte, agissant à son insu sur l'objet de son attention. Mais il y a aussi une sérendipité de situation, comme on dirait au théâtre "un comique de situation". S'il évolue dans le milieu académique, le chercheur doit faire face à de vigoureuses concurrences pour gagner la reconnaissance des pairs, où s'exercent de violents rapports de forces et se produisent de fortes tensions inter-personnelles. Il apprend vite que les situations inconfortables générées par l'environnement du laboratoire et ses codes impitoyables ne sont pas nécessairement des menaces, mais plutôt des occasions de détours et de percées plus audacieuses. C'est alors que les surprises de la sérendipité viennent lui offrir sa chance de faire la différence. C'est de cela qu'il s'agit: faire la différence !

Jouer à faire ses écarts, sauf d'en être soi-même le jeu?
Pour finir, tout semble donc se jouer à la charnière de ces fameuses bifurcations. Pour introduire un élément extérieur, celui d'éventuelles rencontres insolites ou d'inspirations ingénues, posons les questions suivantes et abordons-les par les retours d'expérience chez nos participants:
- un parcours de chercheur (scientifique ou artiste) fait-il une juste place aux remises en question, aux imprévus, changements de cap et réajustements?
- et qui en a la maîtrise? Le destin aveugle, à moins que l'intéressé ne provoque lui-même le saut de palier? Ou serait-il plutôt lié à la rencontre, au sourire d'une influence extérieure, ou de je ne sais quelle révélation catalytique?

Notre comptine du début ne produit pas autre chose chez l'enfant qui s'y attèle: familiariser celui-ci avec la bizarrerie du monde qui l'entoure.

29/05/2017

"La pensée voit" ... et le regard pense

Titre inspiré d'Alexis Jenni (Son visage et le tien, Albin Michel, 2014).

L'infime détail qui fait la différence !
Rappelons-nous telle ou telle visite d'une exposition d'art chinois, et nos émois devant les lavis éthérés de lettrés classiques, dont la subtilité allait jusqu'à attribuer à leurs paysages des titres improbables. Quelques exemples bien réels, parmi d'autres:
- L'appel de la grue couvrant une onde claire
- Propos échangés au hasard d'une rencontre sur la falaise du pin
- Couple de dames à la recherche de la fraîcheur
- Rêvant de l'immortalité dans une chaumière
Or, nous avions beau écarquiller les yeux, tous ces paysages "shanshui" sous nos yeux semblaient immuables, faits de monts et vallées à perte de vue, cascades et étangs, rochers et arbres rabougris. Il fallait presque s'aider d'une loupe et y mettre un temps suffisant pour déceler, en dehors des axes de la perspective, la présence incongrue et insignifiante de l'animal, du personnage ou d'une action en cours, noyés dans l'immensité du paysage et où s'exprime avec politesse l'état d'âme de notre artiste oriental.



Sommes-nous donc assez observateurs?
Dans nos vies quotidiennes et nos environnements familiers, nous passons à maintes reprises devant des scènes dont la plupart des acteurs nous échappent également. Nous avons nos repères urbains, nos paysages décadents dont la laideur ne cesse de nous rassurer, tant de masques interchangeables pour peupler nos lieux de passage, mais en réalité nous ne voyons rien. Nous serions les premiers surpris si, comme le spectateur étonné des paysages de lettrés chinois, nous prenions le temps de nous asseoir et de fouiller lentement du regard chaque parcelle de nos paysages les plus fréquentés. Surgiraient alors de derrière les apparences d'innombrables détails inaperçus, tels que des anomalies de constructions, des objets abandonnés, des passants portant le malheur ou le bonheur sur leur visage, un nid d'hirondelles, une lampe allumée en plein jour, un chien boîteux, un vol de papillons, une boîte à lettres débordante, un vieillard collé à sa fenêtre, et ainsi de suite à l'infini.




















Le regard : acte premier de la création?
Pourquoi cette digression apparemment futile? Simplement pour nous faire saisir où commence l'ouverture féconde, qui est vécue si intensément par les personnes au tempérament de chercheur. Ces personnes-là, en effet, seront les premières à avoir aperçu l'appel en pointillés de la grue dans les brumes d'une peinture chinoise, ou le vieil homme effacé derrière sa fenêtre dans l'indifférence d'un trajet familier.



Toute création se sert du regard, mais d'un regard qui relève davantage de l'observation, de l'attention[1] que du pilotage automatique. Léonard de Vinci recommandait le "saper vedere", donc savoir voir, comme si l'observation supposait un apprentissage et impliquait une forme d'investissement personnel. Il y a là un effort, une tension, au bout desquels viendra poindre la capacité à nommer toutes les formes innombrables du réel. Ainsi le chercheur nomme pour appeler, pour peupler son univers. Il ne nomme pas pour ranger, mettre la chose nommée dans une case avec sa naphtaline, comme pour la réduire à son stéréotype. Tous les chercheurs se reconnaîtront. Bien plus, cet art de nommer n'est pas l'apanage de la science, et se rencontre avec un égal bonheur dans les arts et les lettres. Pontalis fait preuve d'une rare intelligence quand il spécifie: "L'apprenti écrivain que je serai toujours devine l'écart entre le mot qui dévoile la chose en la nommant, et celui qui risque toujours de l'abolir en la désignant." Un scientifique n'aurait pas mieux dit.

L'appauvrissement culturel : une faiblesse du regard ?
Nous évoquions donc la primauté de l'observation, mais d'une observation attentive et créatrice, que la plupart des chercheurs (scientifiques, naturalistes, photographes, peintres, psychologues, enquêteurs, etc) connaissent comme une seconde nature. Avec eux, essayons de considérer tout paysage naturel, ou le visage qui s'offre à nous, ou les paramètres plus abstraits d'une étude en cours, comme un véritable thésaurus de signes cabalistiques qu'il faudrait arracher à l'insignifiance. Des signes cachés innombrables, dont les combinaisons sans fin racontent des histoires auxquelles il nous est donné de restituer la plénitude du sens.

L'une d'entre nous, Anabelle, faisait de l'insistance du regard (article du 19/05/2017) une prédisposition du chercheur indispensable à sa créativité.

Comme toutes les prédispositions, elle est aussi donnée à tout le monde, mais doit évidemment s'exercer au quotidien. Deux pédagogues de l'observation auprès de la jeunesse britannique d'un autre temps (Baden Powell et Rudyard Kipling) recommandaient la pratique de jeux d'attention, l'un forçant sur les jeux de piste au grand air, l'autre exploitant le fameux jeu de Kim pour la mémoire visuelle. Peu de chances que ces méthodes fassent encore aujourd'hui beaucoup d'adeptes, quand on constate, par exemple, qu'une bonne moitié de nos concitoyens usagers des  transports en commun préfèrent se replier sur leurs tablettes ou s'isoler entre deux écouteurs. Les caméras de surveillance vont-elles un jour tenir lieu de regard, et délégitimer l'attention du passant à son voisinage?

Parmi nous, Arnaud a fait une remarque pertinente (article du 21/05/2017) sur son besoin de multiplier en ville les rencontres inter-personnelles, celles qui ont horreur de la bulle des connexions virtuelles. Ces rencontres qui ne doivent pas se réduire à des événements ritualisés, mais permettre dans l'inattendu de nos déplacements un nourrissage quotidien aux sources de la diversité culturelle, comportementale et intellectuelle. Sinon : c'est la torpeur qui guette le blasé du regard, dont la superficialité pourrait faire de lui un être démotivé et justement ... insignifiant. Une analyse plus poussée chez Philippe Coulengeon: la sociologie des pratiques culturelles, La Découverte, 2016.

Pour qu'une chose devienne intéressante, il suffit de la regarder longtemps (Gustave Flaubert).



[1] L'attention consiste à suspendre sa pensée, à la laisser disponible, vide, en attente, prête à recevoir dans sa vérité nue l'objet qui va y pénétrer. La vérité ne se trouve pas par preuves, mais par exploration (Simone Weil).

21/05/2017

Et si on essayait l'intelligence collective ?

Bonjour à tous, voici Arnaud !

A mon tour ...

Créatif ? Mais à une autre échelle
Je m’appelle Arnaud Bilande et je suis né à Anderlecht (Bruxelles) en 1985.
Je suis actuellement (sur)chargé de projets chez Periferia depuis septembre 2011 où je m’occupe plus particulièrement de la communication, du réseau capacitations citoyennes, des quartiers durables citoyens  ainsi que de la coordination de l’association.



Periferia promeut la mise en place d’espaces publics de débat, qui visent à construire collectivement le développement urbain et nos modes d’organisation sociale en croisant les points de vue de personnes occupant des rôles différents par rapport à ces éléments : citoyens habitants, locataires ou propriétaires, usagers transitoires, élus et techniciens de la ville. Pour ce faire, l’association met en oeuvre des actions valorisant et encourageant la capacitation citoyenne de collectifs pour prendre part au débat et agir sur leur environnement. De cette manière, Periferia cherche à rétablir l’influence des points de vue d’acteurs généralement oubliés sur les décisions d’intérêt général.


J’occupe également un mandat d’administrateur dans l’asbl « Le Début des Haricots » qui soutient le développement d’une agriculture urbaine à taille humaine.
Je suis diplômé de l’Erg en narration et ait obtenu l’agrégation en arts plastiques à l’ESAPV à Mons et un brevet d’Eco-Pédagogie (Institut d’Eco-Pédagogie à Namur). J’ai pris part à plusieurs expériences de projets citoyens à Bruxelles (plateforme citoyenne de l’eau en Région bruxelloise, Etat Généraux de l’eau, Bouillon Malibran, Maelbeek mon Amour).

Pour une intelligence collective

Convaincu que c’est à travers la confrontation des points de vue, mais aussi l’implication de chacun d’entre nous dans la politique (la politique en son sens plus large, celui de civilité ou encore de gestion de la cité) qu’il sera possible d’arriver à construire une société plus inclusive et moins inégalitaire, je travaille à faire en sorte que chacun d'entre nous puisse développer un esprit critique sur la société.




Le sens de mon travail consiste donc à permettre un débat constructif tout en facilitant la co-construction de visions partagées. Mon travail consiste enfin à accompagner des démarches collectives visant à transformer la société et influencer les politiques publiques.



Passionné par l’humain, je m’intéresse tout particulièrement à la façon dont nous interagissons et nous prenons des décisions collective (gouvernance partagée, outils d'intelligence collective, etc).

Une vie créative, ça compte pour vous?
Oui énormément, et pour moi cela dépasse largement la dimension artistique. La créativité est un moteur indispensable pour dépasser les situations existantes, apporter des réponses nouvelles aux défis auxquels on est confronté.

Les frontières qu'on vous impose, ça vous lance?
Une frontière n’a de sens que si celle-ci prend en compte la réalité, elle ne peut être tracée telle une ligne qui ferait abstraction du monde et imposée par d'autres (il suffit de voir ce qu’ont produit comme conflits les frontières imposées sur base d’un découpage colonial). Les frontières sont à la fois importantes pour se construire une identité et pour se développer :
- On ne peut imaginer des êtres qui seraient sans aucune attache, aucun liens avec d’autres. Or, le développement de tels liens, indispensable pour que chacun d'entre nous soit reconnu, ne peut se faire sans une certaine forme d’entre-soi.
- En même temps cette frontière, si elle n’est pas questionnée, devient une prison dont on ne peut s’extraire.

























Où avez-vous ressenti sur vous-même la fascination d'une rencontre, le magnétisme de l'étrange autour de vous?
Il ne s’agit pas d’une rencontre mais de rencontres. Les rencontres quotidiennes sont fascinantes, tant on peut se rendre compte de la diversité qui est autour de nous. Elle peut être bouleversante, renversante, dérangeante... mais jamais inutile.

Liens

·      www.periferia.be

·      www.quartiersdurables.be

·      www.capacitation-citoyenne.org

·      http://arnaudbilande.blogspot.be

17/05/2017

Fabrice, l'homme-frontière

(et Till le bouffon...)

Fabrice est le benjamin de notre petite équipe. Ce qui fait sens pour lui, c'est particulièrement la notion de frontière. C'est un praticien du grand écart qui nous fascinait dans l'article précédent. Un pied dans un domaine, l'autre pied dans un domaine connexe, comme pour taquiner les deux pôles d'une batterie: du même coup, Fabrice se sent traversé par un courant électrique.

Son travail de recherche, qui le conduit à une thèse en septembre, se place précisément sur une frontière entre plusieurs domaines (chimie organique et chimie minérale, le vivant et l'inerte) qui ont chacun sa relative autonomie, jusqu'au moment où s'est présentée l'opportunité d'emprunter à l'un des acquis entrant dans l'élaboration de solutions pour l'autre. Il vous en parlera mieux que moi.

Autre frontière pour Fabrice, celle qui distingue des univers musicaux aussi différents que la musique classique et les musiques contemporaines (jazz, folk, pop, expérimentales). Fabrice n'est donc pas seulement un chercheur scientifique, il est aussi un chercheur d'expression musicale, pianiste et compositeur, et son inspiration puise encore à la jointure entre ces esthétiques différenciées.



Il est photographié devant la statue de Till l'Espiègle (et Nele sa compagne). Ce personnage imaginaire, de son vrai nom Thyll Eulenspiegel (Uylenspiegel en néerlandais), serait né au XVIème siècle en Basse-Saxe et eut la bonne fortune d'avoir été mis en scène dans plusieurs romans populaires en Allemagne et aux Pays-Bas.  Till est l'archétype du bouffon attaché aux cours princières, du saltimbanque des réjouissances populaires, du provocateur des puissants, de l'iconoclaste de toutes les "bien-pensances". Dans le roman du belge De Coster, il se déclare "fils qu'Heureux Hasard eut un jour avec Bonne Aventure". Il multiplie les farces en tous genres, se joue du langage en tordant le sens des mots, et ose tourner en dérision la réputation des notables. Les symboles du miroir et de la chouette qui sont inscrits dans son nom germanique renvoient à une forme de clairvoyance, et au jeu inépuisable des images inversées, pour poser aux suffisants de ce monde la question dérangeante du vrai et du faux.



Attention: rien n'est fortuit, tout se résout en opportunités. Fabrice s'est fait photographier sous le regard amusé de Till l'Espiègle, pour nous dire peut être que la figure du bouffon, celle qui défie le sens commun, n'est pas complètement étrangère au mode créatif. Dans la science comme dans la musique, sortir du cadre est le chemin le plus court pour y retourner.

03/05/2017

Bonjour, Flora. Tu embarques ?

Bonjour,

Bravo pour l'organisation !
J'aime beaucoup vos questions et je pense que je vais prendre le temps de contribuer au blog.
En attendant, voici mes informations:

Je m'appelle Flora Vincent, j'ai 28 ans et suis née à côté de Marseille. Je viens de terminer ma thèse à l'Ecole Normale Supérieure à Paris, où j'ai passé trois ans à analyser les données issues d'une expédition internationale appelée Tara Océans (voir video, ci-dessous) et m'envole pour l'Israël en Septembre pour poursuivre ma carrière de chercheuse en microbiologie marine. Née d'un père français et d'une mère japonaise, d'un ingénieur et d'une littéraire, et ayant passé un peu de temps à l'étranger, le choix d'une thèse en France n'a pas été clair dès le début, j'ai même tout fait pour l'éviter. Une suite de rencontres, mentors, et (beaucoup) de stages ont créé des opportunités que je ne pouvais refuser.

Au cours de ma thèse j'ai co-fondé et co-dirigé pendant 4 ans une association de promotion des sciences et de la mixité en science, à travers le développement et la diffusion d'outils innovants basés sur le numérique, la collaboration avec des artistes, des non scientifiques, avec l'objectif de susciter une curiosité scientifique auprès du grand public en usant d'un ton décalé et ludique. Une aventure entrepreneuriale mais "sans but lucratif " dont j'ai beaucoup appris en terme de management, relationnel, gestion de projet et levée de fond et qui m'a permis de sortir la tête du labo quand il fallait prendre l'air... 

Une citation: "Les mots qui ont un son noble contiennent toujours de belles images"; j'étais obligée de citer Pagnol, étant originaire d'Aubagne !

Voilà, en quelques lignes, une brève présentation. J'ai hâte de lire les vôtres.



30/04/2017

Les pionniers du XXIème siècle

Hier, Bertrand Piccard passait sur une antenne connue pour présenter son nouveau livre. Il parle bien parce qu'il vit effectivement ce qu'il dit, et sa crédibilité balaye les critiques. J'ai cueilli une réflexion qui vise au coeur du débat de notre Table Ronde: il y a différentes façons de se forger une mentalité de pionnier et, parmi celles-ci, il n'y en a pas de mineure. Les pionniers du XXIème siècle n'ont pas de leçons à recevoir de leurs anciens.

Pour mémoire, Bertrand Piccard est ce psychiatre, aérostier, promoteur des technologies propre, qui vient d'accomplir avec André Borschberg le tour du monde en 17 étapes aux commandes d'un avion solaire sans une seule goutte de carburant. Le même homme, qui n'en est pas à son premier défi, avait déjà effectué un tour du monde en ballon sans escale.

A l'occasion de cet entretien télévisé, il évoque les personnalités de son père et de son grand-père. Le premier, océanographe, porte à son palmarès le record du monde de profondeur en plongée (10916 mètres dans la fosse des Mariannes) à bord d'un célèbre bathyscaphe. Le second, physicien, fut le premier être humain à avoir pénétré en ballon la stratosphère, démontrant qu'il était possible de survivre au-dessus de la limite des 5000 mètres sur une longue durée. L'animateur posa alors cette question à Bertrand Piccard (rapportée approximativement): "En 3 générations, les Piccard ont poussé les possibilités humaines aux extrêmes dans le sens de la hauteur d'abord, puis de la profondeur et, enfin, dans le sens horizontal qui enveloppe la planète. Vous avez 3 filles. De quoi pourraient-elles bien, à l'exemple de leur prestigieuse ascendance, se faire les pionnières désormais, alors que toutes les directions spatiales ont été défiées dans la famille?

La réponse paisible de Bertrand Piccard nous concerne au premier chef. Il atteste que les nouveaux continents à explorer ("terra incognita", disaient les géographes), où exercer la créativité des nouvelles générations, sont sans doute d'un autre ordre. Il y voit la médecine avec le fonctionnement du cerveau par exemple, les causes de la pauvreté, les sciences de l'éducation, les droits de l'homme, la gestion durable des ressources, etc. Son argument est fort: ces thèmes ne sont pas seulement des discours qui feraient les délices des grands débats publics. Ils sont effectivement des espèces de "boîtes noires", devant lesquelles la capacité de l'homme à comprendre et à délier les déterminants est encore balbutiante. Ce sont en réalité des aires de conquêtes futures, qui ont besoin de leurs pionniers, ceux-ci étant armés d'un esprit au moins aussi curieux, aventureux et audacieux que pouvait l'être le mental des explorateurs terrestres, spatiaux ou marins.

C'est aussi notre conviction, qui motive la participation de jeunes créatifs d'horizons parfois très éloignés. Ils veulent démontrer que même le respect humain et le souci d'un bien commun commandent une attitude pionnière. Et il n'est pas indifférent que ce soit une personnalité de culture scientifique qui prenne une telle position. Le grand-père Auguste Piccard, lui-même, est cité pour avoir déclaré en son temps:
"La question maintenant n’est pas tant de savoir si l’homme pourra aller encore plus loin et peupler d’autres planètes, la question est de savoir comment s’organiser de façon à rendre sur Terre la vie de plus en plus digne d’être vécue".







24/04/2017

Sciences, interculturalité ... et voici l'innovation sociale

      Le panel de la Table Ronde cherche lui-même une mixité en son sein. Nous ne sommes plus dans la diversité sociologique, mais dans le souci d'être plus représentatifs des formes variées que prennent les élans créatifs de la jeune génération. Comme déjà évoqué, il doit y avoir une place pour les personnalités créatives de la science, de l'entreprise, du monde associatif, des arts et lettres, sans aucune exclusive.

Forts de notre base scientifique de départ, et après avoir aussi embarqué Sébastien, un passionné de la rencontre interculturelle, nous accueillons aujourd'hui un spécialiste de l'animation sociale, membre chevronné de l'équipe de "Periferia". Arnaud est immergé complètement dans un contexte expérimental. Pour lui et ses collègues, chaque événement de la cité, chaque lieu de dialogue ou de délibération, chaque initiative d'un agenda éducatif, civique ou culturel, se présente comme un défi sans équivalent. Tout est chaque fois à réinventer, en des circonstances et auprès de milieux humains à découvrir comme tels, tout en constituant pas à pas un corpus d'expérience qui devient la richesse de l'Association.

Arnaud a été confronté à notre feuille de route (24 janvier 2017) comme ses prédécesseurs scientifiques. Et ce qu'il en dit, au premier abord, nous suggère des convergences avec les scientifiques, mais aussi quelques singularités à noter au passage. Résumons le bilan de popularité des multiples questions répertoriées à la feuille de route. Sept d'entre elles ont été mentionnées au moins une fois (et six autres semblent actuellement négligées), dans l'ordre suivant:

+ Mentionnée 4 fois:
---> la question du métissage des équipes du fait de l'internationalisation des activités

+ Mentionnée 3 fois:
---> les activités créatives comme antidote de la morosité de la société

+ Mentionnées 2 fois:
---> la dimension intergénérationnelle
---> la sérendipité ou séduction de l'imprévu
---> l'inconfort de l'altérité consentie, ou le choc culturel au travail

+ Mentionnées une seule fois:
---> Les nouvelles appartenances en réseaux
---> l'impact des réseaux virtuels

Les deux questions connexes relatives à l'importance prise par les réseaux virtuels n'ont été retenues que par Arnaud. Or, nous savons bien que les autres, qui émanent de la recherche scientifique, ont une très grande familiarité avec internet, les interconnections, les projets internationaux, la gestion mutualisée de masses de données, etc. Ce n'est pas l'outil en tant que tel, ni le réflexe connecté, qui les différencie entre eux et pourrait expliquer l'intérêt singulier d'Arnaud. Laissons à celui-ci le soin de motiver son intérêt.

Il se demande si "il n'y aurait pas un risque de voir se renforcer des formes d'entre soi en travaillant en réseau (dimension horizontale où on fonctionne sur base d'affinités ou d'intérêts). Cela ouvre-t-il réellement vers de nouveaux horizons, ou bien n'est-ce qu'une extension de ce qui existe déjà?" Arnaud met aussi l'accent sur le fait objectif que tout travail n'est pas forcément numérisé, qu'il y a donc une grande part de travail encore matérialisé. D'où la question de l'effet plus ou moins pertinent de l'organisation en réseaux virtuels horizontaux sur l'amélioration des conditions du travail conventionnel et de l'efficacité de celui-ci.

En bref : quelle évidence y a-t-il que ces réseaux connectés puissent rendre le travail plus créatif, plus innovant, voire plus agréable, et qu'ils ne conduisent pas au contraire à accentuer une tendance à la paresse de l'entre-soi (l'interconnection va concerner des plus grandes populations délocalisées, mais constituées de semblables par leurs compétences ou leurs intérêts).

Réseaux horizontaux et créativité: la question a été ouverte par Arnaud pour la Table-Ronde, et invitera les participants à distinguer la façon originale dont s'exerce le tempérament créatif dans des branches et des métiers aussi divers que ceux représentés parmi nous. Si le problème n'est pas ressenti de la même manière en recherche scientifique, c'est évidemment que la démarche scientifique obéit à des principes et à une déontologie qui lui est particulière. Il faudra entendre Arnaud sur les possibilités de dérive dans le milieu associatif et dans les conditions de l'animation sociale.

Au-delà des questions pré-établies de la feuille de route, Arnaud fait miroiter d'autres facettes de l'esprit créatif.

- Il est soucieux plus que d'autres des enjeux associés au déploiement de toute forme de créativité dans les milieux qu'il côtoie. Il est clair pour lui que les enjeux déterminent le besoin et les formes éventuelles de la créativité d'une quelconque communauté humaine.

- Parmi ces enjeux, il note avec beaucoup d'autres que la tendance au repli sur soi s'impose comme un fléau social de notre société contre lequel il faut résister, et pas seulement dans les milieux défavorisés !

Il ressort clairement de nos premiers échanges avec Arnaud que la proximité du terrain et l'urgence de pouvoir traiter avec l'humain le conduisent à porter un regard sur les conditions de la créativité plus directement soumis à un impératif de pertinence et d'impact social. Guère de place pour le dilettantisme, à peine plus pour la spéculation intellectuelle ou la sanctuarisation des connaissances. Le créatif aura à faire ses preuves dans la confrontation au réel social. Objet de réflexions pour le chercheur scientifique pour qui, à son corps défendant, le dialogue avec la société est davantage un enjeu politique qu'une réalité vécue.

21/04/2017

Le salon de conversation, sinon l'ailleurs

·      Notons bien que notre exercice prend soin de préférer le vocable "créatif" à celui de "créateur", pour désigner nos jeunes témoins et leurs engagements diversifiés. "Créateur" serait trop emphatique. "Créatif" souligne plutôt la reconnaissance chez chacun d'une potentialité à faire advenir du nouveau, de la singularité, de l'impensé, sans préjuger des formes que leurs contributions talentueuses pourraient prendre.

Or, c'est là que nous rencontrons une question éventuellement polémique. On nous demande pourquoi il faudrait asseoir à la même table des chercheurs scientifiques et des artistes, des écrivains et des entrepreneurs. Un individu créatif dans les sciences, dans l'entreprise, dans les arts et lettres, dans l'animation sociale peut-il légitimement incarner chaque fois la même valeur?

D'où cette question cruciale: y aurait-il quelque chose de commun entre la création substantielle - un art majeur - et la création relationnelle - un art mineur comme certains voudraient bien le dire?

Il est clair que nous avons déjà répondu à cette perplexité, en assumant la décision de réunir ces différents talents côte à côte, et en les invitant à partager leur vécu. Peut être les uns produisent-ils un savoir codifié, tandis que les autres s'appuieraient sur un savoir empirique. Les uns livrent des nouveaux procédés, biens et services, les autres du lien social, de l'immatériel. Les uns participent à l'économie de marché, les autres relèvent du secteur non marchand. Mais tous insufflent à notre société un principe vital: la capacité à se renouveler, à évoluer, à connaître l'enchantement.

Nous posons donc à ce stade un postulat: leurs formes de créativité sont bien distinctes, mais les instincts créatifs s'abreuvent à la même source. Quelque chose qui s'apparente à un horizon commun, un même désir impérieux de se dépasser et d'agrandir le patrimoine commun. Et, pour ce faire, les élans de nos créatifs doivent bien avoir quelque chose de familier entre eux.

C'est ainsi que Lagasnerie (Logique de la création, Fayard, 2011) insiste sur la convergence des courants de pensée historiquement situés: l'auteur invite à ... "faire voler en éclats la distinction entre les travaux qui porteraient sur des objets particuliers (nous disions "substantiels") et ceux qui s'efforceraient d'affronter les problèmes les plus abstraits et les plus universels (nous disions "relationnels")."

Dumézil, cité par Lagasnerie, s'était donné pour projet de montrer comment différents niveaux de la réalité sociale, politique, culturelle, etc, pouvaient être régis par une même loi, un même schéma, un principe commun. A quoi Michel Foucault fait écho dans une autre formulation: "La pensée n'est pas à rechercher seulement dans des formulations théoriques, comme celles de la philosophie ou de la science; elle peut et doit être analysée dans toutes les manières de dire, de faire, de se conduire, où l'individu se manifeste comme sujet de connaissance." On peut bien créer en substance, ou recomposer l'univers relationnel, on n'en est pas moins créatif sous autant d'aspects pour l'ensemble de ses semblables.


Maintenant, étant admise la pertinence de toutes les manifestations du génie créatif, prenons un pas de recul et posons-nous la question de la possibilité, et de la signification, d'une compénétration de ces univers mentaux.
La spécialité ou la discipline ne fait pas le créatif. Ce sont plutôt des créatifs qui, par leurs dispositions mentales, apportent à telle ou telle discipline du vent nouveau. "L'inspiration ou l'intuition ne sont ni des facultés innées, ni des qualités naturelles et inexplicables. Ce sont des attitudes et des dispositions mentales (...) Elles réclament de savoir s'émanciper et s'affranchir des frontières qui, comme les frontières institutionnelles, bloquent la libre circulation des idées et des concepts, pour se mettre à l'écoute des nouveaux possibles, des nouvelles paroles, ou des gestes inattendus qui surgissent dans les espaces autres que le sien," dit encore Lagasnerie. Par exemple, un compositeur de musique contemporaine comme Pascal Dusapin  confesse que son espace de réflexion n'est pas strictement musical, puisqu'en font partie des peintres (Soulages), des écrivains (Beckett), des philosophes (Deleuze), des critiques littéraires (Barthes), mêmes des architectes, etc.



"Les communautés créatrices (...) ont décidé d'élargir au maximum leur horizon intellectuel, de se donner à elles-mêmes d'autres interlocuteurs, de se mettre en rapport avec des individus qui appartenaient à d'autres univers et à d'autres traditions que les leurs". Ou encore : "C'est la transformation et l'hybridation, les unes au contact des autres, d'influences hétérogènes et diverses qui engendrent l'émergence de l'inédit et du singulier." Un constat partagé par des penseurs de tous bords. Michel Serres, auteur du tiers instruit, s'en saisit comme d'une idée maîtresse: "On trouve de ne pas trancher; de ne pas siéger en quelque tribunal. La critique ruine l'invention" (Ecrivains, savants et philosophes font le tour du monde, Le Pommier, 2009). Une conception dans laquelle se glisse avec la même conviction un François Cheng, penseur du vide médian: " S'il n'y a plus rien de nouveau sous le soleil, tout est toujours nouveau par ce qui naît entre" (Le dialogue, Desclée de Brouwer, 2002); aussi bien un Régis Debray, amoureux de l'entre-deux: "Sciences dures ou sciences molles, c'est dans leur entre-deux que la science progresse" (Eloge des frontières, Gallimard, 2010); tout autant une psychanlalyste à l'exemple de Julia Kristeva, l'étrangère comme elle aime à se considérer: "De n'appartenir à rien, l'étranger peut se sentir affilié à tout, et cette apesanteur dans l'infini des cultures et des héritages lui procure l'aisance insensée d'innover" (Etrangers à nous-mêmes, Gallimard/Folio, 2011); ou encore un romancier tel que Mathias Enard: "Sur toute l'Europe souffle le vent de l'altérité, tous ses grands hommes utilisent ce qui leur vient de l'Autre pour modifier le Soi, ... car le génie veut l'utilisation de procédés extérieurs pour ébranler la dictature du chant d'église et de l'harmonie" (Boussole, Actes Sud, 2015).


Mais pour rendre possible la confluence féconde de ces univers, encore faut-il disposer d'espaces interactifs appropriés. C'est Pierre Boulez qui voulait réhabiliter la forme "salon", en s'écartant de la forme "académie" qui cautionne l'entre-soi. Les associations bruxelloises sont coutumières des "tables de dialogue" pour mettre le salon au grand air. Et puis, n'oublions pas le luxe du voyage, la force du déplacement. La rencontre des univers se fait magistralement sous le regard de personnes déplacées, car le dénuement du voyage prépare les esprits au miracle de la rencontre (voir "De l'innovation", Thierry Gaudin, L'Aube, 1998; ou "Le gaucher boîteux", Michel Serres, Le Pommier, 2015). Mais ceci est une autre histoire.

23/03/2017

Le "GO-BETWEEN"

Un extraterrestre, ou la quintessence du terrien ?

Tous les créatifs sont, d'une certaine manière, des chercheurs de sens. Parfois, il suffit d'en rencontrer un pour comprendre au détour de son propre témoignage de vie toute la chimie complexe qui le traverse, et qui le projette vers des horizons de sens insoupçonnés. Justement, voici une telle rencontre, capable de nous secouer.

"Philosophe accueilli parmi les économistes, penseur continental d’orientation anglo-saxonne, universitaire dont la formation doit plus à l’auto-stop qu’aux auditoires et qui, aujourd’hui encore, étoufferait d’être confiné dans sa tour d’ivoire, Flamand francisé, chrétien incroyant, père germain de quatre enfants juifs, habitant d’une rue dont une extrémité est l’épicentre de l’Europe politique et l’autre la commune la plus pauvre du Royaume, j’ai en effet souvent été stupéfait, du niveau de mon quartier à celui de la planète, par le degré auquel la méconnaissance, la méfiance, la timidité, la peur de l’autre, l’absence d’un langage commun rendent laborieuse, inefficace, improbable, ou simplement inexistante, une communication pourtant essentielle pour pouvoir apprendre, décrisper, débloquer, avancer."

Philippe van Parijs, à la pointe d'une philosophie de l'homme depuis de nombreuses années, a confié ce témoignage puissant lors de sa réception du Prix Franqui en 2001 à Bruxelles. Sa créativité philosophique a pu émerger sur un terrain écartelé qu'il reconnaît, lui-même, avoir été à l'origine de sa formation intellectuelle (bien davantage que les auditoires, ose-t-il dire ...). Sa présence au monde s'est située dans un entre-deux dès l'âge de l'éveil et des premiers émois.

Certains diront peut être que notre philosophe a déjà l'âge d'être grand-père, et que l'exemple qu'il semble livrer pour le propos de notre blog ne s'adresse que d'assez loin à la génération des jeunes créatifs qui nous entourent.

Détrompons-nous ! Ce qu'essaye de nous transmettre Philippe van Parijs, c'est précisément la vertu initiatique de ce bain de jouvence dans un climat de mixité et de contrastes dès la venue au monde. Il n'est pas anodin pour sa formation de jeune homme qu'il ait été baptisé (intellectuellement, il s'entend) aux eaux mêlées de divers bassins culturels avoisinants. La fécondité des sources mêlées s'opère comme une initiation de l'homme en devenir, dans les circonstances de sa propre éclosion au monde. L'homme qu'il est aujourd'hui, et la pensée au long cours qu'il épouse patiemment, ont bien été forgés dans l'expérience des jeunes années. Etre ainsi suspendu dans l'entre-deux devrait évidemment constituer l'expérience décisive pour alimenter un désir vital à vouloir traverser les frontières (go-between). Dès le début de l'existence, la qualité de cette prise de conscience de sa propre incongruité au milieu d'une infinie diversité, voilà de quoi fonder l'intensité d'une pensée créative à l'âge mûr. Qu'on se le dise.