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09/05/2017

La soif

    Partages de vies ... donc d'en-vies


 Le manque me manque, je suis comblé.
(Rabbi Yaakov Lacan)

Je vous annonçais ces deux rencontres, dans l'article du 27 avril ...

D'abord, Hubert Reeves: "Des souvenirs de cours qui m'ont plongé dans une véritable exaltation ... je ressens une intense gratitude pour les enseignants qui m'ont éclairé ... je voudrais être comme lui et faire ce qu'il fait ... mes parents m'ont offert un livre sur les microbes ... grâce à la connivence d'un enseignant, j'ai eu la permission de revenir après les heures de cours ... La puissance des instruments d'optique pour observer le monde; la puissance des mathématiques pour le décrire .... les mathématiques montraient leur ancrage dans la nature, etc..." (Intimes convictions, Editions Paroles d'aube, 1997).

Ensuite, Philippe van Parijs: "Philosophe accueilli parmi les économistes, penseur continental d’orientation anglo-saxonne, universitaire dont la formation doit plus à l’auto-stop qu’aux auditoires et qui, aujourd’hui encore, étoufferait d’être confiné dans sa tour d’ivoire, etc ..." (Remise du Prix Franqui, 2001).

Il nous parle, ce contraste entre Hubert Reeves, le scientifique (l'émerveillement devant ce qui est, et ce qui reste caché, l'emboîtement des infinis, les lointains, le réel qui interroge, l'image du réel renvoyée à l'observateur, la modélisation, l'inépuisable nature) et Philippe Van Parijs le philosophe (l'émerveillement devant ce qui s'oppose ou ce qui s'assemble, le tout et les parties, les niveaux d'organisation, les communautés, le milieu, l'emprise de l'observateur sur le réel, l'inépuisable culture). N'avons-nous pas là diverses conceptions d'un même émerveillement, à travers ces deux regards différents? Et toujours sous-jacente: la soif inextinguible.

Chez le premier, la soif communiquée dans les auditoires, mais aussi les compagnonnages  intimes. Modèle de l'empreinte paternelle: émancipation au berceau familial, auprès des intimes, puis à l'école et par les sources académiques. Filiations directes et surtout de type vertical.

Chez le second, la soif renouvelée sur les parcours d'auto-stop. Modèle de l'empreinte maternelle: émancipation fondatrice au contact du milieu et des événements. Filiations de type placentaire, nourrissage capillaire, à forte dimension horizontale. "La vérité ne se trouve pas par preuve, mais par exploration" (Simone Weil).

Les deux modèles s'interpénètrent évidemment. Pour dire simplement que le moteur du désir n'est pas enfermé dans une quelconque sphère normative, et que chacun peut s'y retrouver avec sa sensibilité propre. Le peuple des assoiffés embarque joyeusement les chercheurs de toutes tendances, comme les artistes ou les innovateurs sociaux, confondant tous les milieux créatifs.

S'il y a quelque chose à apprendre des champions de la pensée créative, pas seulement Hubert Reeves ou Philippe van Parijs, mais tant d'autres, ce n'est pas tant leur capacité à devancer le genre humain (ce n'est pas donné à tout le monde) que plutôt les conditions qui les y ont prédisposés. Or, ces conditions sont en principe disponibles pour tous, professionnels et amateurs, sous réserve que la soif puisse toujours se manifester. C'est aussi le point de départ d'un questionnement que nous pouvons adresser à nos jeunes créatifs. Donc, retour à notre Table Ronde, avec ces questions actuelles:

- En-vies de vie ... Nos jeunes ont-ils soif d'un au-delà d'eux-mêmes? Mais d'où leur vient cette soif? Cette soif prend-elle différentes tonalités avec l'avancée en âge?
- Parcours initial ... La voie de formation et d'apprentissage qu'ils ont suivie a-t-elle été subie ou choisie? Répond-elle à leur soif, ou ravive-t-elle cette soif autrement, dans de nouvelles directions?
- Prendre du plaisir ... Sont-ils davantage "shootés" à l'auditoire (cf. Hubert Reeves) ou à "l'auto-stop" (cf. Philippe van Parijs)? C'était l'article du 27 avril. Mais dans tous les cas, la même disponibilité chez eux à l'émerveillement.
- Evénements fondateurs ... Comment le jeu des rencontres humaines entretient-il leur soif? Songent-ils à des rencontres fondatrices de type paternel (transcendantes) ou aussi de type maternel et placentaire (immanentes)?
- Créativité en plénitude, ou schizophrénie ... Comment cette soif  (ses exigences, ses visions) les équilibre-t-elle par rapport à leurs positions citoyennes, sociales, amicales et familiales? Un engagement créatif est-il compatible avec l'unité des différentes personnalités en soi?
- Découragement ... A l'inverse, quelles circonstances au travail ou dans la collectivité ont pu éventuellement dénaturer ou décevoir la soif du jeune créatif? La tentation de l'indifférence parvient-t-elle aussi à empoisonner les meilleurs esprits ? Comment désamorcer pareil détournement d'énergies ?

Que l'homme assoiffé s'approche, que l'homme de désir reçoive l'eau de la vie, gratuitement. (Apocalypse, 22,17)

03/03/2017

Il y a quelque chose en nous de Tennessee

Qui sont ces "jeunes en mode créatif" ? Cette Table Ronde ne projette-t-elle pas des figures parfois caricaturales? Qui peut se reconnaître dans tel ou tel chercheur aventureux, happé par la jet-société des milieux savants?

Nous sommes d'accord, certains de nos témoins choisis sont des chercheurs de première classe, et il y a de bonnes raisons à cela. Vous les trouverez à la lecture de notre chapelet d'articles ci-dessous. Leur niveau élevé n'est cependant pas hors sujet. S'ils en sont arrivés là, ce n'est pas complètement un hasard, ni le coup de baguette magique qu'une bonne fée aurait porté sur leur front innocent dès l'âge du berceau. Ils ont en effet mis en oeuvre un arsenal de dispositions personnelles, précisément celles sur lesquelles notre Table Ronde voudrait porter l'accent. Et puis, ces dispositions d'esprit ne sont pas l'apanage exclusif des hautes sphères de la recherche scientifique, elles y sont simplement plus faciles à illustrer. En revanche, les créateurs petits ou grands, connus ou inconnus, sont bien plus répandus, et vous les rencontrez sûrement.

Essayons ce petit jeu: êtes-vous aussi un chercheur, par certains côtés? Le plus simple pour tenter de répondre honnêtement à cette question, serait d'atteindre notre vérité par approches successives.

Les scientifiques sont essentiellement des chercheurs de savoir. C'est pour nous démonstratif. Mais que dire des chercheurs de savoir faire? Pensons au savoir faire technique, au savoir faire artisanal, au savoir faire associatif ou psycho-social, et ainsi de suite. C'est, par exemple, depuis la nuit des temps que les apprentis artisans privilégient le voyage, la recherche des maîtres de leur époque, la multiplicité des expériences in situ pour parvenir à ce qu'il est convenu d'appeler avec respect : la maîtrise. Les artisans savent que leur domaine ne connaît aucune frontière. Leur vérité à eux, c'est d'essayer, de pratiquer, de rencontrer, de se mesurer à d'autres, de perfectionner sans cesse. Ne sont-ils pas de merveilleux chercheurs?

Et puis, tous les domaines d'expertise jusqu'à la musique ou le sport (quoi de plus populaire aujourd'hui?), vivent et se renouvellent d'émulation, de concurrence et de confrontation. Les musiciens ou les sportifs professionnels ont bien des qualités des chercheurs scientifiques: la patience d'un travail acharné, l'entrainement et le recyclage permanent, les rencontres internationales, la mobilité personnelle, l'écolage auprès de maîtres incontestés, le besoin de prouver leur excellence, le dépassement de l'échec, la sensibilité personnelle à la reconnaissance des pairs, etc. Il y a chez eux une gourmandise du défi qui n'est pas étrangère à l'appétit de tous les chercheurs de bonne volonté.

N'écartons pas la possibilité qu'un chercheur veille en chacun de nous. Nous entrons dans la version plus intime de la recherche. Pour se faire comprendre, rien de tel que les exemples caricaturaux, ne les dénigrons pas. Prenons le cas particulier de ceux ou celles qui sont en recherche de leurs origines, parfois une vie durant, soit qu'ils soient issus d'immigrés dont les familles souches se perdent dans tel ou tel naufrage, soit qu'ils soient nés sous X et demandeurs d'une parenté biologique, ou bien d'autres situations encore. Ce sont des recherches tenaces, volontaires, passionnées, ouvertes à tous les possibles, de nature à remettre en cause la personne et toutes ses certitudes. Les recherches personnelles revêtent tant d'autres formes suivant le vécu de chacun, avec ce point commun qu'elles sont souvent déclenchées ou alimentées par un échec, un événement dramatique, un vide intérieur, un obstacle ou un changement de cap. A l'évidence, l'intranquillité a quelque chose à voir avec la recherche.

Dans la sphère de la spiritualité et du mysticisme, il est d'usage d'évoquer aussi quelques grands chercheurs, mais point n'est besoin de monter si haut. Vous conviendrez avec moi qu'un même fil rouge réunit les chercheurs de tous poils, et particulièrement ceux qui viennent d'être mis en scène brièvement pour les besoins de la démonstration. Ce fil rouge doit être la recherche de sens. Chacun dans sa quête construit ses propres itinéraires pour donner du sens à sa manière d'être au monde. Le sens d'un artiste, d'un musicien, d'un sportif, d'un artisan, d'un cuisinier, d'un ingénieur ou d'un scientifique. Le sens par la capacité à être créatif dans sa sphère d'existence.

Les itinéraires sont donc à trouver et à pratiquer. Mais ne jamais poser son sac et s'assoir bêtement sur le talus. Chercher et trouver les chemins. Là-bas, au-delà des horizons que nous n'avons pas choisis. De là l'exercice que nous nous proposons en Table Ronde. Parfois, en effet, une carte ou un bon GPS rendent la recherche d'itinéraires plus accessible. C'est tout l'intérêt de pouvoir partager l'expérience d'un modèle, d'un prédécesseur, ou d'un pionnier. Entendre un scientifique ou un artiste témoigner de sa recherche, et nous révéler quelques uns des atouts qui peuvent lui ouvrir la voie, ce n'est pas ériger le statut du chercheur au-dessus du commun des mortels. C'est mettre l'eau à la bouche, donner à chacun d'y croire, donner envie. Il n'en va pas autrement de nos modèles littéraires. Vous souvenez-vous de ceux de votre adolescence?

Avec cette formidable envie de vie
Ce rêve en nous c'était son cri à lui 
Oh, oui! Tennessee,
Y a quelque chose en nous de Tennessee.