Pistes à explorer

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Pour entrer directement dans le vif du sujet, voir l'article: L'ouverture féconde ou l'errance du chercheur, du 24 janvier 2017, référencé par le libellé "feuille de route".

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19/05/2017

Regarder ce que les autres ne regardent pas

Voilà quel est l'aiguillon qui pousse Anabelle à donner le meilleur d'elle-même. Le regard est la clé. Tout ce qui s'offre à la vue est offert. C'est gratuit, pourquoi s'en priver, pourquoi s'engluer la vue dans le cliché et la familiarité quand on sait qu'il suffit d'écarter un peu le voile? Chez nos amis chercheurs, le regard est leur premier instrument. Il est exercé par un long écolage pour faire sienne une panoplie de bonnes pratiques (bibliographie, modélisation, protocoles, essai-échec, répétabilité, réfutation par les pairs, etc), sur lesquelles asseoir l'originalité et la crédibilité de ses conclusions. Le regard d'Anabelle, selon ses propres mots, c'est l'attention constante à ce qui peut échapper aux autres, c'est l'importance du détail qui passerait inaperçu, c'est le langage des signaux faibles.



On connaît le regard qui tue ... voici le regard qui crée
Il est vrai que le paysage d'Anabelle est loin de rappeler le décor de nos jours. Il plonge dans l'infiniment petit. Il règle tout simplement la vie de nos chromosomes. Le Prix Nobel de médecine de 2009 avait révélé au grand public l'importance des télomères, ces terminaisons chromosomiques dont la détérioration accompagne inexorablement le vieillissement cellulaire, et de la télomérase, l'enzyme capable de régénérer les télomères.  La même télomérase peut aussi être accidentèlement suractivée dans un processus qui aboutit à la prolifération cancéreuse. Anabelle dirige une équipe de recherche qui se penche sur un mécanisme alternatif de maintien des télomères, capable de jouer un rôle dans  le passage à l'état tumoral, notamment dans les cancers pédiatriques de l'os ou du cerveau.
Anabelle met son équipe sur deux voies parallèles:
- la recherche de molécules susceptibles d'empêcher le maintien des télomères par ce mécanisme alternatif (nécessitant une collaboration avec des chimistes et le don de cellules de la part des patients);
- l'élucidation des voies biologiques qui permettent aux sujets s'adonnant à des activités physiques régulières de voir leurs télomères protégés au-delà  des évolutions constatées chez les sédentaires (nécessitant une collaboration avec des kinésithérapeutes et le don de biopsies de la part de volontaires).

On croisait le fer ... ici, on préfère croiser les regards
On constate d'emblée combien le chercheur doit se mouvoir dans un champ pluridisciplinaire, et conjuguer les apports d'autres spécialistes (ici: des chimistes, des cliniciens, des kinésithérapeutes, etc) pour apporter leur expertise autour des avancées circonscrites aux conditions du laboratoire chef de file. Tout ça pour dire qu'une équipe de recherche s'appuie sur des échantillonnages et dépose des résultats qui ont vocation à faire sens au-delà des conditions du laboratoire leader. Et qui, de ce fait, mettent en mouvement des compétences extérieures à des moments déterminés. C'est une analogie avec l'oeuvre d'art, si l'on veut bien adopter une perspective plus large. De même que l'oeuvre d'un artiste finit par lui échapper et se trouve investie du sens que veulent bien lui donner ses admirateurs, les percées scientifiques ont forcément des résonances au-delà de leur périmètre expérimental, et concernent tôt ou tard des constellations d'autres chercheurs, qui se trouvent appartenir à des univers emboîtés.

A cet égard, il faut aussi considérer l'architecture organique du travail en laboratoire. Pour traduire en expériences finalisées la stratégie globale de recherche d'Anabelle, 5 collaborateurs sont à la tâche, qui viennent d'horizons les plus divers (nationalités belge, française, grecque, italienne et tchèque). En effet, l'économie des circuits courts, du commerce de proximité et de la préférence nationale qui jouit d'un capital de sympathie dans les opinions publiques n'a pas sa place dans les milieux de la créativité, qu'elle soit scientifique ou artistique. Une équipe attelée à des investigations pointues, sous la pression d'une concurrence internationale de tous les instants, ne pourra faire sa place que si elle recrute à un moment donné les collaborateurs les plus finement ajustés à leur tâche, sans égard pour leurs passeports.
En dernier ressort, l'économie de la recherche ne circule qu'à travers des réseaux connectés internationalement. Pour Anabelle, cela représente en aval la conduite de son groupe multicolore, mais aussi en amont le suivi des données pertinentes produites dans 20 à 30 laboratoires capables de concourir au même niveau à l'échelle planétaire.



Aujourd'hui, Anabelle vous laisse un message simple, qui est le fruit de son expérience en matière de créativité scientifique. Davantage que la conjugaison d'une multiplicité d'origines qui est devenu une évidence dans le montage de projets, c'est la conjugaison des héritages de grands maîtres (les vrais patrons de la recherche au sens de l'originalité absolue de leur mode de pensée et de leurs méthodes d'investigation) qui permet d'optimiser une équipe désireuse d'émerger. Voyez-vous, c'est un peu comme dans un autre domaine artistique: celui de la musique. On ne fait de la bonne musique qu'avec d'excellents interprètes. Mais peu importe la nationalité de ceux-ci, pourvu qu'ils aient été formés par tel ou tel grand maître qui aura laissé une empreinte indélébile.

La leçon qu'il faut en tirer pour de jeunes créatifs serait certainement celle-ci: après une bonne formation de base, allez faire vos preuves chez les meilleurs du moment, comme le font les "compagnons du tour de France", qui perpétuent le savoir faire des métiers d'art. Si vous cherchez l'excellence, soyez compagnon du tour du monde. Anabelle a donc fait sa biochimie chez l'un de ces maîtres, sa génétique chez un autre, et sa découverte de la complexité des cellules humaines chez un troisième. Le chercheur est un passeur de relais, tout le contraire d'une tour d'ivoire. A bon entendeur ... salut !

30/04/2017

Les pionniers du XXIème siècle

Hier, Bertrand Piccard passait sur une antenne connue pour présenter son nouveau livre. Il parle bien parce qu'il vit effectivement ce qu'il dit, et sa crédibilité balaye les critiques. J'ai cueilli une réflexion qui vise au coeur du débat de notre Table Ronde: il y a différentes façons de se forger une mentalité de pionnier et, parmi celles-ci, il n'y en a pas de mineure. Les pionniers du XXIème siècle n'ont pas de leçons à recevoir de leurs anciens.

Pour mémoire, Bertrand Piccard est ce psychiatre, aérostier, promoteur des technologies propre, qui vient d'accomplir avec André Borschberg le tour du monde en 17 étapes aux commandes d'un avion solaire sans une seule goutte de carburant. Le même homme, qui n'en est pas à son premier défi, avait déjà effectué un tour du monde en ballon sans escale.

A l'occasion de cet entretien télévisé, il évoque les personnalités de son père et de son grand-père. Le premier, océanographe, porte à son palmarès le record du monde de profondeur en plongée (10916 mètres dans la fosse des Mariannes) à bord d'un célèbre bathyscaphe. Le second, physicien, fut le premier être humain à avoir pénétré en ballon la stratosphère, démontrant qu'il était possible de survivre au-dessus de la limite des 5000 mètres sur une longue durée. L'animateur posa alors cette question à Bertrand Piccard (rapportée approximativement): "En 3 générations, les Piccard ont poussé les possibilités humaines aux extrêmes dans le sens de la hauteur d'abord, puis de la profondeur et, enfin, dans le sens horizontal qui enveloppe la planète. Vous avez 3 filles. De quoi pourraient-elles bien, à l'exemple de leur prestigieuse ascendance, se faire les pionnières désormais, alors que toutes les directions spatiales ont été défiées dans la famille?

La réponse paisible de Bertrand Piccard nous concerne au premier chef. Il atteste que les nouveaux continents à explorer ("terra incognita", disaient les géographes), où exercer la créativité des nouvelles générations, sont sans doute d'un autre ordre. Il y voit la médecine avec le fonctionnement du cerveau par exemple, les causes de la pauvreté, les sciences de l'éducation, les droits de l'homme, la gestion durable des ressources, etc. Son argument est fort: ces thèmes ne sont pas seulement des discours qui feraient les délices des grands débats publics. Ils sont effectivement des espèces de "boîtes noires", devant lesquelles la capacité de l'homme à comprendre et à délier les déterminants est encore balbutiante. Ce sont en réalité des aires de conquêtes futures, qui ont besoin de leurs pionniers, ceux-ci étant armés d'un esprit au moins aussi curieux, aventureux et audacieux que pouvait l'être le mental des explorateurs terrestres, spatiaux ou marins.

C'est aussi notre conviction, qui motive la participation de jeunes créatifs d'horizons parfois très éloignés. Ils veulent démontrer que même le respect humain et le souci d'un bien commun commandent une attitude pionnière. Et il n'est pas indifférent que ce soit une personnalité de culture scientifique qui prenne une telle position. Le grand-père Auguste Piccard, lui-même, est cité pour avoir déclaré en son temps:
"La question maintenant n’est pas tant de savoir si l’homme pourra aller encore plus loin et peupler d’autres planètes, la question est de savoir comment s’organiser de façon à rendre sur Terre la vie de plus en plus digne d’être vécue".







31/01/2017

Les "savanturiers"

D'emblée, je fais crédit au Museum National d'Histoire Naturelle d'avoir inventé ce néologisme et à l'Année 2016/17 de l'Aventure Scientifique instaurée par l'université catholique de Louvain à Louvain-la-Neuve d'en avoir fait un très bon titre (ouvrage disponible). Donc, je m'empresse de le leur emprunter, tant il convient à notre démonstration. Mais je l'utilise avec un léger glissement de sens, bien intentionnel comme vous allez le voir.

En fait, le MNHN fait allusion aux explorateurs de tous poils qui, depuis des siècles, sont allés dans tous les environnements extrêmes pour y faire des observations inédites et des collectes d'échantillons, au bénéfice de tous les grands inventaires du matériel vivant. Pour notre propos ici, le savanturier n'est pas seulement la personne qui se projette vers une nouvelle "terra incognita", celle qui laisse un trou béant sur les cartes des atlas géographiques des siècles passés. C'est plus généralement la métaphore de l'explorateur, appliquée au chercheur de pointe dans l'exercice de tous ses moyens.
En effet, notre postulat est que le chercheur qui laisse se déployer toute sa pensée spéculative devient un aventurier intellectuel, qui largue rapidement toutes ses amarres socio-culturelles, et qui franchit allégrement l'équateur de ses représentations académiques pour aller voir de préférence ce que le commun des mortels ne voit pas.

Comme il ne s'agit pas de théories oiseuses mais bien d'aventures humaines en cours, prenons un cas parmi d'autres. Les jeunes chercheurs hébergés par ce blog vous prouveront à leur tour qu'ils sont eux aussi capables de tels voyages de la pensée. Rien de spécial au départ chez Chris Bowler. Il a connu comme tant d'autres l'université à Warwick, et y a fait ses premiers pas dans la recherche scientifique. Un bon élève, dirait-on, mais jeune fou parmi les jeunes fous de son époque.

Chris se plonge dans les mécanismes qui sous-tendent la sensibilité à la lumière chez les plantes, et s'ouvre alors aux technologies biomoléculaires encore balbutiantes en ces temps-là (années 80).

L'Europe étant à l'époque à peine étourdie par la toute nouvelle libre circulation de ses citoyens, et très ouverte aux échanges culturels et scientifiques, voilà Chris embarqué dans un programme le destinant à faire ses preuves auprès de quelques personnalités de la science en Belgique, puis aux USA. Le voilà pourvu en quelques années de compétences incroyables en biologie moléculaire et technologies de l'ADN recombinant.

Mais Chris ne se satisfait pas de cette jouissance du chercheur au pinacle de sa discipline. Il est incité à emprunter d'autres voies. Ce sont les chemins broussailleux qui l'attirent davantage que les allées dégagées. Survient en 1994 l'opportunité de monter un nouveau laboratoire à l'autre extrémité de l'Europe, pour porter son savoir faire sur des espèces marines aussi inconnues qu'elles sont répandues dans les océans : les diatomées. Aucun précédent dans sa carrière débutante ? Qu'à cela ne tienne, le voici responsable d'un nouveau laboratoire à la Station de Zoologie marine de Naples.

Croyez-vous qu'un chercheur en biologie moléculaire allait se complaire à ne connaître des mécanismes du vivant que les images microscopiques et les profils d'ADN dont son laboratoire est un pourvoyeur industriel ? Eh, bien: Non ! Chris se laisse happer par le grand écart entre l'infiniment petit et l'infiniment grand. C'est la vision globale de la diversité et des rôles joués par les diatomées dans les océans du globe qui le taraude, et le conduit à prendre la responsabilité de la coordination scientifique de l'expédition TARA-OCEANS, l'aventure d'un voilier et de son remuant équipage (200 jeunes, 45 nationalités), éperdument amoureux de la planète, qui feront parler d'eux d'une extrémité à l'autre de la terre.

Entre temps, Chris vit pleinement sa vie, fonde une famille anglo-italienne à partir d'une rencontre new-yorkaise, qui le détermina à son installation subséquente à l'ombre du Vésuve, avant de le transporter (finalement) auprès des instances académiques de l'Ecole Normale Supérieur de la Rue d'Ulm (Paris), où il partage son temps entre enseignement, recherche et rencontre du public. Car la rencontre du public ne rechigne pas un jeune chercheur allumé ... elle a toujours été un élément profond et inavoué de sa motivation, dès sa sortie d'université. Parler naturellement et simplement, comme dans la confidence, de choses étonnamment compliquées, c'est là qu'on reconnaît les grands esprits. 

Diriez-vous que Chris est un chercheur anglais ? Un biologiste moléculaire ? Un prof ? Un polyglotte ? Un naturaliste ? Un globe-trotter ? Un émigré ? Un père de famille ? Un pote ? Un dilettante ? Un amoureux de la mer ? Vous m'aurez compris: il est, en quelque sorte, l'icône du savanturier. Et son aventure n'est certes pas équivalente à un safari-recherche. Elle s'enracine dans un goût insatiable de décentrement intellectuel, une curiosité à toute épreuve, et quelque chose d'impalpable qui s'apparente à l'amour inconditionnel de la vie. Qualités qui sont données à tous les chercheurs honnêtes, mais que certains parviennent à illustrer avec plus de bonheur. C'est aussi le bonheur communicatif de nos jeunes chercheurs, que vous allez connaître à l'ombre de notre site.

Références Youtube: