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Pour entrer directement dans le vif du sujet, voir l'article: L'ouverture féconde ou l'errance du chercheur, du 24 janvier 2017, référencé par le libellé "feuille de route".

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24/07/2017

L'esprit d'enfance

Un titre attrayant, d'un nouvel essai commis par Roger-Pol Droit (Ed. Odile Jacob, 2017), qui illustre la force de l'état juvénile pour prendre pied dans le vaste monde. Ce qui devrait nous frapper le plus dès l'instant où l'on se plonge dans cet ouvrage, c'est sans doute le vocabulaire, les tournures auxquelles l'auteur a recours pour décrire ce qui fait l'originalité de la condition prémature, et son côté le plus précieux. Cela nous concerne immédiatement puisque s'y retrouvent des termes et des expressions que nous avons employés abondamment pour essayer de circonscrire le tempérament créatif du jeune adulte. Exemples?

Et si on préférait les écarts aux truismes de l'adulte? Roger-Pol Droit évoque le regard qui s'étonne, le mutisme sur les expériences visuelles, la puissance des émotions. Il met en valeur l'esprit de jeu, et va jusqu'à proposer des exercices de mobilité, voire d'illogisme pour aider le lecteur à sortir du rôle qu'il pense lui avoir été attribué par ses semblables. Il décrit le déséquilibre bienfaiteur que permettent les écarts dont l'enfant est friand, et dont le paradigme le plus frappant serait sans doute l'apprentissage de la marche (passer par une brève perte d'équilibre, le temps de déplacer son polygone de sustentation d'un pied à l'autre). Le déséquilibre, comme le désencombrement, sont des instruments de relance contre les pesanteurs du vieillissement précoce.

Encore faut-il avoir rêvé ... Bien entendu, l'auteur transpose superbement ses observations au comportement attendu d'un adulte. Il n'hésite pas à dire ce que nous-mêmes, ici, voudrions illustrer par la bouche de nos jeunes témoins. La fraîcheur, l'indétermination, la curiosité, l'imagination, l'intelligence émotionnelle et toutes ces qualités de la petite enfance peuvent revivre chez un adulte avec des effets spectaculaires. La suprématie de l'imagination sur le langage exprimé (disposer de grilles de lecture infiniment plus étendues que ne le permettraient les propriétés sémantiques de la langue) est une force que mobilise volontiers le mathématicien pour ses calculs, le poète pour ses illuminations, le chercheur lié à ses investigations, l'explorateurs dans ses expéditions, l'écrivain dans son univers romanesque, et même le politicien capable de figurer un avenir commun. Décidément, la création doit avoir quelque chose à faire avec l'esprit d'enfance.

Dans "ingénuité", il y a le mot: génie. La réponse du scientifique est connue. Pardonnez la facilité, mais il n'est guère possible d'échapper à l'évocation de la personnalité exemplaire d'Einstein. C'est un autre très bon livre que celui d'Etienne Klein à propos du pays qu'habitait Einstein (Ed. Actes Sud, 2016). Pour faire court, l'auteur rappelle dans sa conclusion les traits de caractère les plus pertinents de ce savant par excellence, qui sont en étroite consonance avec ceux de l'esprit d'enfance selon Roger-Pol Droit. Il est question de:
-       sa propension à toujours mettre un pas de côté, même dans le commun de l'existence;
-       sa sensibilité à toujours éprouver le mystère du monde; et ...
-       son aisance à pratiquer la pensée comme une intelligence non verbale, rappelant le mutisme des enfants habités par des visions intérieures qui semblent impénétrables à l'adulte.

Je laisse à d'autres le soin de convoquer les écrivains et artistes innombrables qui, de la même manière que les scientifiques, ont confié leur génie à l'enfant qui cherchait à revivre en eux. C'est d'une telle évidence ... Pensons au Petit Prince de Saint-Exupéry.
Nos panellistes ont bien d'autres questions concernant les chemins et les modalités par lesquels ils mobilisent leur propre créativité latente. Mais laissons-leur déjà celle-ci: peuvent-ils témoigner, dans leurs univers particuliers, d'un quelconque rôle qu'aurait pu jouer l'esprit d'enfance et son ingénuité? Dans ingénuité, il y a ... génie.

08/03/2017

MOBILITE

Cause ou conséquence du génie créateur?

Nous le savons, les chercheurs sont plutôt plus mobiles que la moyenne des actifs. A vingt ans, ils veulent découvrir le monde. A vingt-cinq ans, ils veulent se mettre à l'école des plus grands maîtres. A trente ans, ils veulent diversifier et corser leur expérience. A trente-cinq ans, ils sont à la poursuite des contrats susceptibles de faire aboutir leurs publications de prestige. A quarante ans, ils cherchent un statut chez le plus offrant: université, entreprise ou grand institut. Tout ça ne va pas sans mal, mais la quête obstinée d'un environnement qui soit favorable à l'esprit de spéculation, à la liberté d'entreprendre et à la fréquentation des meilleurs n'en demeure pas moins le moteur du jeune chercheur.

Avant de recevoir les témoignages corroborants des nouvelles générations, ne boudons pas notre plaisir et laissons-nous impressionner par les vagabondages (trop mal connus) de la plupart des figures légendaires de la recherche. Etienne Klein vient de publier son excellent "Le pays qu'habitait Albert Einstein" (Actes Sud, 2016), essai dans lequel il démontre s'il en était besoin que ce penseur universel aimait larguer les amarres, et que son réel port d'attache n'était autre que son immense imagination. Vous êtes tenté de me dire: Ah, oui! Mais c'était un génie, lui. Dès lors, pouvons-nous en tirer des conclusions? Certes, mais il n'était pas le seul dans ce cas de figure. Voyez Copernic, Erasme, Descartes, Marie Curie, Sigmund Freud, Florence Nightingale, Sigmund Freud, etc (Ci-dessous: schémas pour quelques uns de l'enchaînement de leurs résidences professionnelles). Le modèle est pour le moins répandu.

Ensuite, mettons-nous en tête qu'il y a tout le cortège des anonymes, car la recherche ne se maintient pas à la traîne de quelques célébrités, mais elle progresse avec les flux de chercheurs innombrables, par lesquels circulent les idées nouvelles et les savoir faire les plus avancés. Les pionniers de l'innovation, qu'elle soit scientifique, sociale ou culturelle, sont couramment des personnes déplacées et qui se tiennent à l'écoute de tous les environnements (Thierry Gaudin, L'Aube, 1998). Exprimé autrement, la dynamique des exils, rencontres et influences, suscite une production culturelle et intellectuelle originale et favorise le "scepticisme créateur" (Nicole Lapierre, Stock, 2004). Tous ne rencontrent pas la même chance, mais tous sont placés dans la même quête. Le profane se demande peut être ce qui alimente cette quête: les chercheurs se délocaliseraient volontiers (géographiquement, ou mentalement) en mal de découvrir telle ou telle face cachée? Ou serait-ce plutôt leur initiation savante qui en ferait des citoyens du monde par construction? Est-ce donc le manque, ou la surabondance qui les pousse ainsi? Qu'en disent-ils eux-mêmes?

Entre temps, laissons-nous entrainer sur ces nouveaux "chemins de Compostelle" de la recherche, qui sillonnent l'Europe dans tous les sens, jalonnés de résidences d'artistes ou de chercheurs, et qui ont beaucoup à voir avec l'édification d'une société de la découverte.