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Pour entrer directement dans le vif du sujet, voir l'article: L'ouverture féconde ou l'errance du chercheur, du 24 janvier 2017, référencé par le libellé "feuille de route".

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26/04/2017

La "massification" des semblables : une ouverture trompeuse ?

Dans la confrontation amicale d'Arnaud avec ses commensaux à notre Table-Ronde (voir l'article du 24 avril), une remarque de sa part tranche quelque peu avec la relative unanimité des autres. En évoquant la banalisation des nouveaux outils de télécommunication et la puissance des réseaux virtuels qui les mettent en oeuvre, il tempère l'enthousiasme des utilisateurs en se montrant quant à lui plus sensible à certains effets collatéraux. Bien sûr, lui aussi est un utilisateur convaincu, et il ne niera pas le caractère irréversible des modes de communication installés par internet. Ce qu'il dit a cependant été intelligemment observé. Il craint une sorte de "massification" des semblables.

En effet, les réseaux virtuels sont une manifestation publique à grande échelle du libre arbitre exercé par l'individu. C'est pour tout un chacun la possibilité de rejoindre telle ou telle communauté de son choix, en toute discrétion (apparente) et en toute impunité (pas de comptes à rendre). En principe, encore que cela soit à réexaminer, il n'y a pas de pression morale ni de pression sociale qui agisse dans les pratiques sur internet. En contre partie, c'est l'immensité et l'instantanéité de l'effet d'appartenance au groupe et de l'affirmation de soi au sein d'un collectif identitaire qui vient récompenser le dilettante de la toile. Comme nos débats concernent l'engagement civique et professionnel plutôt que les loisirs, la mise en garde d'Arnaud pourrait être écartée: les scientifiques, par exemple, s'imposent à eux-mêmes une forme de pression morale et sociale, quand ils naviguent sur la toile et se connectent à leurs communautés de recherche, parce qu'ils y ont un but à atteindre. La réserve serait-elle levée pour autant?

Eh, bien! Non. Car la clairvoyance d'Arnaud pose un autre problème. C'est celui de la "massification" des semblables. Il est légitime de sa part de se demander si la façon dont s'imposent à nous, par la facilité et la convivialité, ces modes de communication de masse dans l'espace virtuel ne va pas nous conduire à notre insu à nous "ghettoïser" par affinités mimétiques. Or, il n'y a plus sur ce plan aucune différence entre les motivations de loisir et de travail. Une communauté de chercheurs scientifiques en réseau virtuel ne serait-elle pas tentée de se constituer de condisciples au même corpus lexical, admettant les mêmes axiomes, appliquant les mêmes logiciels, se reconnaissant dans des référentiels identiques? En plus, la force du nombre émousse inévitablement l'esprit critique. Les réseaux peuvent aisément devenir des lieux de modes volatiles, voire même des espaces vulnérables à la propagation d'informations illégitimes. Doit-on redouter un clonage des esprits?

So what? C'est ce que les usagers des réseaux nous répondront, forts de leur maîtrise de l'outil. Mais laissons à Arnaud la possibilité de titiller ces pratiques, fussent-elles les plus populaires.  Car l'innovation dont dépend la perpétuation du genre humain, qu'elle soit scientifique, culturelle ou sociale, se nourrit plutôt d'écarts à la norme et d'irruptions d'un domaine dans un autre qui lui était étranger. Rien à voir avec l'ADN conservateur du net. Si les lieux d'échanges avaient toujours été les réseaux virtuels mimétiques, comment auraient pu se produire les rencontres improbables qui donnèrent à l'humanité ses chances de pouvoir rebondir de palier en palier. Comment les chimistes de l'invention du Kodachrome auraient-ils développé leur formule, qu'ils tenaient d'un cercle de musiciens, après que Charles Cros (qui était lui-même un poète) eut déposé les premiers brevets de photographie en couleur? Comment les inventeurs de la fabrication de la soude auraient-ils pu bénéficier des révélations du médecin Leblanc? Le cardiologue Greatbatch de l'université de Buffalo aurait-il pu détourner une application de la recherche sur les transistors pour concevoir ce qui deviendrait le fameux pacemaker? Comment Gutenberg, un inconditionnel saisonnier des vendanges, se serait rendu compte que le pressoir à vin répondait à ses besoins de mettre sous presse des petits puzzles de caractères en plomb?

Le jeune créatif, quelle que soit la branche dans laquelle il pratique, doit avoir quelque chose en lui qui le préserve de la tentation inconsciente de faire "masse". Cela ne remet pas en cause la valeur des réseaux virtuels, mais davantage leur utilisation. Les technologies de l'information offrent-elles d'autres moyens qui, tels des contre-pouvoirs, permettraient de croiser entre elles les communautés identitaires plutôt que de les ghettoïser?

27/02/2017

Touchons-nous à une question de société ?

Certains nous posent la question: pourquoi monter en épingle le profil du jeune chercheur engagé, quelle peut donc être sa pertinence d'un point de vue social ? Notre Table Ronde le tient pour acquis, mais pourquoi?

Il serait tentant de répondre que la société vit de dynamismes collectifs dont nous sommes les acteurs, les médiateurs, parfois aussi les spectateurs passifs. Pour encourager ces dynamismes, il est d'usage de recourir à des modèles susceptibles de faire sens dans nos situations personnelles et dans nos différents rôles sociaux. Les plus éculés parmi ces modèles sont sans doute le sportif ou l'entrepreneur. Ce n'est pas une question de compétence, mais bien plutôt d'esprit. Il est de bon ton d'avoir l'esprit d'entreprise, et tout autant l'esprit sportif, pour vivre avec notre temps et développer nos potentialités. Ces modèles en particulier sont énormément valorisés par les médias, pour des raisons parfois non avouables : il peuvent aussi, c'est bien connu, alimenter la société de consommation.

Le parti pris de notre Table Ronde est qu'il existe d'autres modèles, non exclusifs des précédents, ayant certainement le pouvoir de libérer le potentiel créatif du groupe social sans passer nécessairement par la performance et la médiatisation. A l'esprit d'entreprise ou l'esprit sportif, ne faudrait-il pas ajouter par exemple l'esprit confraternel (voir l'innovation sociale) ou précisément l'esprit de curiosité (voir l'importance des "états naissants", réf. Francesco Alberoni ou Thierry Gaudin)?

L'esprit de curiosité, la forme la plus engagée de l'ouverture d'esprit, n'est pas l'apanage exclusif des chercheurs et des artistes, mais il est certainement exercé au plus haut point et avec la plus grande délectation chez ceux-ci en particulier. On les dit familiers des "états naissants", dont les traits communs sont aussi ceux de l'état amoureux : spontanéité, souci de la vérité, respect de l'authenticité, comportements transparents et ouverts d'où peuvent jaillir la nouveauté, le rebond, l'adaptation, l'élan vital. Les états naissants n'apparaissent pas volontiers au commun des mortels, il y faut un esprit de curiosité préalable. Mais il peut être une vertu populaire quand l'amateur vient en faire l'expérience par le jeu ou le théâtre.

N'allez pas croire que nous nous positionnons en surplomb de nos congénères parce que nous détiendrions, dans le milieu des chercheurs aventuriers, une aptitude à la curiosité et au décloisonnement intellectuel peut être davantage exercée. Les observateurs de la société l'ont abondamment décrit : le renouveau par lequel peut se propager une configuration sociale vient en réalité du fonctionnement en réseaux d'acteurs mutuellement influents et influencés. Le MIT avait distingué 5 rôles imbriqués, tous essentiels à l'innovation sociale : l'inventeur, l'entrepreneur, l'organisateur, le parrain, le concierge (aujourd'hui, il aurait ajouté: le citoyen). L'esprit de curiosité est certainement plus développé chez l'inventeur doublé du chercheur (qui en est l'état naturel). C'est bien de cela que nos jeunes chercheurs viennent témoigner dans cette Table Ronde, alors que le rôle du "concierge" (dans la terminologie imagée du MIT) revient à l'organisateur de ces rencontres, qui ambitionne de mettre son public en condition de revêtir, ne serait-ce qu'un instant, le costume chargé de tous les embruns du large qu'endossent nos jeunes savanturiers.