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Pour entrer directement dans le vif du sujet, voir l'article: L'ouverture féconde ou l'errance du chercheur, du 24 janvier 2017, référencé par le libellé "feuille de route".

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11/06/2017

Marabout --> Bout de ficelle ...

La comptine n'a certainement pas quitté nos mémoires et doit pouvoir s'entendre encore aujourd'hui dans les cours des écoles primaires:
Marabout --> Bout de ficelle --> Selle de cheval --> Cheval de  course --> Course à pied --> Pied de cochon --> Cochon de ferme  --> Ferme ta boîte --> Boîte à sucre --> Sucre candi --> Qu'en dis-tu?
La construction en est intéressante, parce qu'elle fonctionne comme un labyrinthe dont les circonvolutions illustrent un parcours de connaissance aléatoire.



La pensée arborescente
Une comparaison plus fidèle encore serait celle d'une arborescence, que les botanistes qualifieraient volontiers de "cyme", telle qu'on peut en trouver dans les inflorescences de bourrache ou de myosotis. La linéarité d'une phrase commençante est donc interrompue, avant que celle-ci n'ait pu délivrer son sens particulier, par une bifurcation définissant un nouvel axe qui a sa linéarité propre et qui porte une signification nouvelle. L'axe secondaire connaît à son tour une bifurcation, et ainsi de suite. A chaque bifurcation, un nouveau palier de sens est atteint. En même temps, il n'y a pas de suite logique dans les sauts de paliers, autre que l'homophonie de la dernière syllabe du terme précédent, qui sert de pivot pour pouvoir enchaîner. En littérature, cette figure de style est repérée sous le nom de dorica castra. Au patrimoine oral enfantin, on parlera plutôt d'une "chanson en laisse".


L'illustration du pouvoir créateur d'une pensée vagabonde et associative, labyrinthique mais sans rompre le fil d'Ariane, se présente à l'infini dans les milieux de la recherche-innovation aussi bien que ceux de l'expression artistique. Mais pour n'en donner qu'un exemple parmi les plus originaux, pourquoi ne pas évoquer les carnets de Fabienne Verdier, peintre-calligraphe aux sources d'inspiration trans-culturelles, qui se livra en 2013 à l'expérience de devoir re-visiter les Primitifs flamands (Musées Groeninge de Bruges et Erasme d'Anderlecht). Exemple choisi à dessein pour ne pas perdre de vue la correspondance ontologique des univers scientifique et artistique quand surgit l'inspiration.

Les petits carnets à trésors de Fabienne Verdier
Donc Fabienne Verdier, face aux tableaux de Jan van Eyck ou de Rogier van der Weyden, choisit de graver les sursauts de son inspiration sous la forme journalière et aléatoire du carnet d'artiste (Voir: Fabienne Verdier et les maîtres flamands, Ed. Albin Michel, 2013). Elle, qui s'est vouée plutôt à la peinture abstraite, graphique et puisant à l'énergie primordiale du Qi des anciens lettrés chinois, la voilà qui produit des carnets destinés à recueillir l'effet de sa rencontre avec la peinture flamande. C'est donc un choc culturel, comme il en est régulièrement question au travers de ce blog. On y trouve, à côté des images dérivées de son exposition répétée à l'une ou l'autre grande oeuvre de la Renaissance, tous les errements de sa pensée qui se démultiplient en résonances dans les diverses autres cultures qui l'habitent. "Le caractère immédiat de la perception me fascine, tu vis et revis là, l'ici et maintenant total!" ne peut-elle s'empêcher de dire. Mais en même temps, l'expérience fulgurante qu'elle décrit demande, pour être traduite en carnet, un foisonnement inouï de diverticules et de représentations enchaînés par associations d'idées. Voici ce qu'en dit Alexandre Vanautgaerden:
- Ces minces cahiers privilégient le charme des commencements, dialogue fécond entre textes, diagrammes et images.
- un itinéraire impromptu, qui plonge dans l'ivresse des formes, le buissonnement des fractales ou l'arborescence du corail.
- des notes précieuses qui voisinent avec les joies de la contemplation de l'éphémère, de l'infiniment petit ou de l'étrangeté de la merveille.
- réservoir de trouvailles ou petit chaos du jour où ne manque pas l'humour.
- une topographie spirituelle, le cheminement du visible vers l'invisible.
la co-présence de langues multiples fait naître de surprenants stolons: Fabienne Verdier établit des correspondances sensibles pour exposer l'infinie richesse de l'idée qu'à chaque fois on peut se faire d'un mot.
 - l'image du labyrinthe permet à Fabienne Verdier d'introduire du discontinu, des bifurcations inattendues, du jeu.
Et Fabienne Verdier de s'exclamer elle-même: "Plonge-toi au coeur des mutations. N'aie pas peur de faire face à l'inconnu!"



Les errances opportunes du jeune prince de Serendip
La pensée arborescente, commune aux scientifiques et aux artistes inspirés, modélise de manière amusante un parcours de "sérendipité". La sérendipité (voir Pek van Andel et Danièle Bourcier, L'Act Mem, 2009; ou Sylvie Catellin, Le Seuil, 2014)  est la capacité à découvrir, inventer, créer ou imaginer quelque chose de nouveau sans l'avoir cherché, à l'occasion d'une observation surprenante et peut être déstabilisante, pourvu que celle-ci finisse par révéler sa propre logique (référence au mythe du prince de Ceylan).
Chaque bifurcation homophonique de notre petite comptine (introduction ci-dessus) nous jette à la face un nouveau concept sans rapport avec l'énoncé qui le précède, sauf qu'il nous appartient à nous de lui donner un sens particulier qui, dans ce petit jeu enfantin, utilise la clé d'une nouvelle homophonie.



Dans la vie réelle, et davantage encore dans la vie de toute personne créative, les trajectoires de sérendipité sont non seulement fréquentes, mais elles peuvent être délibérément valorisées. Une expérience donne-t-elle un résultat aberrant? Loin d'y voir un échec, le chercheur (scientifique ou artiste) en saisira l'opportunité pour mettre éventuellement à jour l'intervention de tel ou tel facteur occulte, agissant à son insu sur l'objet de son attention. Mais il y a aussi une sérendipité de situation, comme on dirait au théâtre "un comique de situation". S'il évolue dans le milieu académique, le chercheur doit faire face à de vigoureuses concurrences pour gagner la reconnaissance des pairs, où s'exercent de violents rapports de forces et se produisent de fortes tensions inter-personnelles. Il apprend vite que les situations inconfortables générées par l'environnement du laboratoire et ses codes impitoyables ne sont pas nécessairement des menaces, mais plutôt des occasions de détours et de percées plus audacieuses. C'est alors que les surprises de la sérendipité viennent lui offrir sa chance de faire la différence. C'est de cela qu'il s'agit: faire la différence !

Jouer à faire ses écarts, sauf d'en être soi-même le jeu?
Pour finir, tout semble donc se jouer à la charnière de ces fameuses bifurcations. Pour introduire un élément extérieur, celui d'éventuelles rencontres insolites ou d'inspirations ingénues, posons les questions suivantes et abordons-les par les retours d'expérience chez nos participants:
- un parcours de chercheur (scientifique ou artiste) fait-il une juste place aux remises en question, aux imprévus, changements de cap et réajustements?
- et qui en a la maîtrise? Le destin aveugle, à moins que l'intéressé ne provoque lui-même le saut de palier? Ou serait-il plutôt lié à la rencontre, au sourire d'une influence extérieure, ou de je ne sais quelle révélation catalytique?

Notre comptine du début ne produit pas autre chose chez l'enfant qui s'y attèle: familiariser celui-ci avec la bizarrerie du monde qui l'entoure.

26/04/2017

La "massification" des semblables : une ouverture trompeuse ?

Dans la confrontation amicale d'Arnaud avec ses commensaux à notre Table-Ronde (voir l'article du 24 avril), une remarque de sa part tranche quelque peu avec la relative unanimité des autres. En évoquant la banalisation des nouveaux outils de télécommunication et la puissance des réseaux virtuels qui les mettent en oeuvre, il tempère l'enthousiasme des utilisateurs en se montrant quant à lui plus sensible à certains effets collatéraux. Bien sûr, lui aussi est un utilisateur convaincu, et il ne niera pas le caractère irréversible des modes de communication installés par internet. Ce qu'il dit a cependant été intelligemment observé. Il craint une sorte de "massification" des semblables.

En effet, les réseaux virtuels sont une manifestation publique à grande échelle du libre arbitre exercé par l'individu. C'est pour tout un chacun la possibilité de rejoindre telle ou telle communauté de son choix, en toute discrétion (apparente) et en toute impunité (pas de comptes à rendre). En principe, encore que cela soit à réexaminer, il n'y a pas de pression morale ni de pression sociale qui agisse dans les pratiques sur internet. En contre partie, c'est l'immensité et l'instantanéité de l'effet d'appartenance au groupe et de l'affirmation de soi au sein d'un collectif identitaire qui vient récompenser le dilettante de la toile. Comme nos débats concernent l'engagement civique et professionnel plutôt que les loisirs, la mise en garde d'Arnaud pourrait être écartée: les scientifiques, par exemple, s'imposent à eux-mêmes une forme de pression morale et sociale, quand ils naviguent sur la toile et se connectent à leurs communautés de recherche, parce qu'ils y ont un but à atteindre. La réserve serait-elle levée pour autant?

Eh, bien! Non. Car la clairvoyance d'Arnaud pose un autre problème. C'est celui de la "massification" des semblables. Il est légitime de sa part de se demander si la façon dont s'imposent à nous, par la facilité et la convivialité, ces modes de communication de masse dans l'espace virtuel ne va pas nous conduire à notre insu à nous "ghettoïser" par affinités mimétiques. Or, il n'y a plus sur ce plan aucune différence entre les motivations de loisir et de travail. Une communauté de chercheurs scientifiques en réseau virtuel ne serait-elle pas tentée de se constituer de condisciples au même corpus lexical, admettant les mêmes axiomes, appliquant les mêmes logiciels, se reconnaissant dans des référentiels identiques? En plus, la force du nombre émousse inévitablement l'esprit critique. Les réseaux peuvent aisément devenir des lieux de modes volatiles, voire même des espaces vulnérables à la propagation d'informations illégitimes. Doit-on redouter un clonage des esprits?

So what? C'est ce que les usagers des réseaux nous répondront, forts de leur maîtrise de l'outil. Mais laissons à Arnaud la possibilité de titiller ces pratiques, fussent-elles les plus populaires.  Car l'innovation dont dépend la perpétuation du genre humain, qu'elle soit scientifique, culturelle ou sociale, se nourrit plutôt d'écarts à la norme et d'irruptions d'un domaine dans un autre qui lui était étranger. Rien à voir avec l'ADN conservateur du net. Si les lieux d'échanges avaient toujours été les réseaux virtuels mimétiques, comment auraient pu se produire les rencontres improbables qui donnèrent à l'humanité ses chances de pouvoir rebondir de palier en palier. Comment les chimistes de l'invention du Kodachrome auraient-ils développé leur formule, qu'ils tenaient d'un cercle de musiciens, après que Charles Cros (qui était lui-même un poète) eut déposé les premiers brevets de photographie en couleur? Comment les inventeurs de la fabrication de la soude auraient-ils pu bénéficier des révélations du médecin Leblanc? Le cardiologue Greatbatch de l'université de Buffalo aurait-il pu détourner une application de la recherche sur les transistors pour concevoir ce qui deviendrait le fameux pacemaker? Comment Gutenberg, un inconditionnel saisonnier des vendanges, se serait rendu compte que le pressoir à vin répondait à ses besoins de mettre sous presse des petits puzzles de caractères en plomb?

Le jeune créatif, quelle que soit la branche dans laquelle il pratique, doit avoir quelque chose en lui qui le préserve de la tentation inconsciente de faire "masse". Cela ne remet pas en cause la valeur des réseaux virtuels, mais davantage leur utilisation. Les technologies de l'information offrent-elles d'autres moyens qui, tels des contre-pouvoirs, permettraient de croiser entre elles les communautés identitaires plutôt que de les ghettoïser?

14/02/2017

A quoi sont-ils plus sensibles ?

Mais qu'est-ce donc qui les titille ainsi ?

Chris et Helga (précédents articles) sont des chercheurs exemplaires, on l'aura compris, mais pas exceptionnel. Leur expérience particulièrement forte a bénéficié d'un plus grand nombre d'années pour s'être construite, mais les jeunes générations les suivent et reproduisent avec une nouvelle fraîcheur les comportements "ouverts" qui font de tout homme un chercheur. L'idée qui transparaît est que le chercheur n'est pas nécessairement un savant (il peut le devenir), mais il est quelqu'un capable d'endosser le costume de l'aventurier ou du détective, sans crainte de se mettre en danger.

Nos plus jeunes chercheurs ont aussi quelque chose à nous dire au regard de leurs itinéraires récents, jamais achevés, aussi riches d'enseignement qu'ils sont souvent bousculés et sujets à digressions. Vont-ils confirmer pour nous cette intuition, selon laquelle les chercheurs prédisposés au succès auraient en commun moins le privilège du savoir qu'une aisance comportementale à sortir du cadre et une mobilité intellectuelle insatiable?

Si nous leur demandons ce qui les fait courir ainsi, et ce à quoi ils sont d'autant plus exposés, certains d'entre eux (AD, LC, CR) désignent - entre autres - les aspects suivants (voir la "feuille de route" publiée précédemment) de leur engagement :
·         >   Antidote à la morosité de la société (AD, LC, CR)
·         >   Dimension intergénérationnelle (AD, LC)
·         >   Métissage institutionnel (AD, LC, CR)
·         >   Sérendipité ou la séduction de l'imprévu (AD)
>        >   Non évidence de l'altérité consentie = le choc culturel (CR)
Ils peuvent en effet témoigner du rôle que jouent ces aspects-là dans leur expérience de jeunes, de chercheurs, et tout simplement d'acteurs sociaux. A suivre dans les articles à venir ... 

04/02/2017

Chercheur : un état, ou une attitude ?

D'abord une tournure d'esprit, qui entretient ce que Helga Nowotny appelle le "processus" de la recherche. Les tendances comportementales (curiosité, mobilité, décentrement, goût du paradoxe, gratuité), que nos jeunes chercheurs incarnent et décrivent avec humour ou avec tendresse, ne sont pas autre chose que les vecteurs d'un mouvement calqué sur la vie, et qui emprunte au vivant son caractère dynamique. Autrement dit, il ne nous est pas interdit, que nous soyons chercheurs de métier, dilettantes, ou simples amateurs, d'entrer nous-mêmes dans ce mouvement.

Helga Nowotny ne dit pas autre chose dans son livre (The cunning of uncertainty, Polity Press, 2015) sur les ruses de l'incertitude, que je vous soumets avec les propres commentaires de l'auteur repris ci-dessous. Voici ce qu'elle en dit :

Nous vivons une époque qui fait la part belle à des politiques de la peur, qui s'ingénient à susciter délibérément de l'anxiété dans la population à des fins partisanes. Mon expérience professionnelle m'a ouvert les yeux sur la capacité inhérente à la science de se mesurer à l'incertitude. L'incertitude est la force motrice de la science dans la mesure où elle pousse les chercheurs à affronter l'inconnu.

Et cependant, la société aspire à un monde bardé de certitudes. Elle met la pression sur les scientifiques pour recevoir des réponses sous la forme tranchée d'un "oui" ou d'un "non". Or, c'est impossible. A la rigueur, un "oui" sous tout un tas de conditions. Ce n'est pas seulement une question d'honnêteté, mais de réelle nécessité que celle de parvenir à intégrer l'incertitude dans nos vies.

Je suis très claire là-dessus dans mon livre : si on se laisse gouverner par la crainte de l'imprévu, on fait barrage à tous les possibles dont l'avenir est porteur. Je parle de "ruse" comme d'une métaphore décrivant comment nos plans s'écartent de la ligne droite que nous leur avions dessinée, afin que nous apprenions aussi à jouer de la force subversive de l'incertitude. Si seulement les gens pouvaient se rendre compte combien les ruses de l'incertitude se présentent en réalité comme le moyen de découvrir tant d'autres dimensions, qui échappaient à notre imagination planificatrice.

 J'ai pour ce livre deux publics : les chercheurs que j'encourage à ne plus minimiser l'incertitude, qui est l'essence-même du processus de recherche; et la société qui entretient des peurs, sans avoir pris conscience qu'elle met ainsi en scène des risques liés aux acquis des sciences et techniques, mais qui n'ont rien à voir avec le risque désirable de découvrir du nouveau, donc de l'impensé.

La vie est incertitude. La seule certitude est la mort. Ou le changement ... ce qui n'est pas incompatible.

(Note de la rédaction: il s'agit d'une traduction libre mais honnête d'interviews recueillies auprès d'Helga Nowotny à l'occasion de la sortie de son livre en 2015).