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26/04/2017

La "massification" des semblables : une ouverture trompeuse ?

Dans la confrontation amicale d'Arnaud avec ses commensaux à notre Table-Ronde (voir l'article du 24 avril), une remarque de sa part tranche quelque peu avec la relative unanimité des autres. En évoquant la banalisation des nouveaux outils de télécommunication et la puissance des réseaux virtuels qui les mettent en oeuvre, il tempère l'enthousiasme des utilisateurs en se montrant quant à lui plus sensible à certains effets collatéraux. Bien sûr, lui aussi est un utilisateur convaincu, et il ne niera pas le caractère irréversible des modes de communication installés par internet. Ce qu'il dit a cependant été intelligemment observé. Il craint une sorte de "massification" des semblables.

En effet, les réseaux virtuels sont une manifestation publique à grande échelle du libre arbitre exercé par l'individu. C'est pour tout un chacun la possibilité de rejoindre telle ou telle communauté de son choix, en toute discrétion (apparente) et en toute impunité (pas de comptes à rendre). En principe, encore que cela soit à réexaminer, il n'y a pas de pression morale ni de pression sociale qui agisse dans les pratiques sur internet. En contre partie, c'est l'immensité et l'instantanéité de l'effet d'appartenance au groupe et de l'affirmation de soi au sein d'un collectif identitaire qui vient récompenser le dilettante de la toile. Comme nos débats concernent l'engagement civique et professionnel plutôt que les loisirs, la mise en garde d'Arnaud pourrait être écartée: les scientifiques, par exemple, s'imposent à eux-mêmes une forme de pression morale et sociale, quand ils naviguent sur la toile et se connectent à leurs communautés de recherche, parce qu'ils y ont un but à atteindre. La réserve serait-elle levée pour autant?

Eh, bien! Non. Car la clairvoyance d'Arnaud pose un autre problème. C'est celui de la "massification" des semblables. Il est légitime de sa part de se demander si la façon dont s'imposent à nous, par la facilité et la convivialité, ces modes de communication de masse dans l'espace virtuel ne va pas nous conduire à notre insu à nous "ghettoïser" par affinités mimétiques. Or, il n'y a plus sur ce plan aucune différence entre les motivations de loisir et de travail. Une communauté de chercheurs scientifiques en réseau virtuel ne serait-elle pas tentée de se constituer de condisciples au même corpus lexical, admettant les mêmes axiomes, appliquant les mêmes logiciels, se reconnaissant dans des référentiels identiques? En plus, la force du nombre émousse inévitablement l'esprit critique. Les réseaux peuvent aisément devenir des lieux de modes volatiles, voire même des espaces vulnérables à la propagation d'informations illégitimes. Doit-on redouter un clonage des esprits?

So what? C'est ce que les usagers des réseaux nous répondront, forts de leur maîtrise de l'outil. Mais laissons à Arnaud la possibilité de titiller ces pratiques, fussent-elles les plus populaires.  Car l'innovation dont dépend la perpétuation du genre humain, qu'elle soit scientifique, culturelle ou sociale, se nourrit plutôt d'écarts à la norme et d'irruptions d'un domaine dans un autre qui lui était étranger. Rien à voir avec l'ADN conservateur du net. Si les lieux d'échanges avaient toujours été les réseaux virtuels mimétiques, comment auraient pu se produire les rencontres improbables qui donnèrent à l'humanité ses chances de pouvoir rebondir de palier en palier. Comment les chimistes de l'invention du Kodachrome auraient-ils développé leur formule, qu'ils tenaient d'un cercle de musiciens, après que Charles Cros (qui était lui-même un poète) eut déposé les premiers brevets de photographie en couleur? Comment les inventeurs de la fabrication de la soude auraient-ils pu bénéficier des révélations du médecin Leblanc? Le cardiologue Greatbatch de l'université de Buffalo aurait-il pu détourner une application de la recherche sur les transistors pour concevoir ce qui deviendrait le fameux pacemaker? Comment Gutenberg, un inconditionnel saisonnier des vendanges, se serait rendu compte que le pressoir à vin répondait à ses besoins de mettre sous presse des petits puzzles de caractères en plomb?

Le jeune créatif, quelle que soit la branche dans laquelle il pratique, doit avoir quelque chose en lui qui le préserve de la tentation inconsciente de faire "masse". Cela ne remet pas en cause la valeur des réseaux virtuels, mais davantage leur utilisation. Les technologies de l'information offrent-elles d'autres moyens qui, tels des contre-pouvoirs, permettraient de croiser entre elles les communautés identitaires plutôt que de les ghettoïser?

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