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11/06/2017

Marabout --> Bout de ficelle ...

La comptine n'a certainement pas quitté nos mémoires et doit pouvoir s'entendre encore aujourd'hui dans les cours des écoles primaires:
Marabout --> Bout de ficelle --> Selle de cheval --> Cheval de  course --> Course à pied --> Pied de cochon --> Cochon de ferme  --> Ferme ta boîte --> Boîte à sucre --> Sucre candi --> Qu'en dis-tu?
La construction en est intéressante, parce qu'elle fonctionne comme un labyrinthe dont les circonvolutions illustrent un parcours de connaissance aléatoire.



La pensée arborescente
Une comparaison plus fidèle encore serait celle d'une arborescence, que les botanistes qualifieraient volontiers de "cyme", telle qu'on peut en trouver dans les inflorescences de bourrache ou de myosotis. La linéarité d'une phrase commençante est donc interrompue, avant que celle-ci n'ait pu délivrer son sens particulier, par une bifurcation définissant un nouvel axe qui a sa linéarité propre et qui porte une signification nouvelle. L'axe secondaire connaît à son tour une bifurcation, et ainsi de suite. A chaque bifurcation, un nouveau palier de sens est atteint. En même temps, il n'y a pas de suite logique dans les sauts de paliers, autre que l'homophonie de la dernière syllabe du terme précédent, qui sert de pivot pour pouvoir enchaîner. En littérature, cette figure de style est repérée sous le nom de dorica castra. Au patrimoine oral enfantin, on parlera plutôt d'une "chanson en laisse".


L'illustration du pouvoir créateur d'une pensée vagabonde et associative, labyrinthique mais sans rompre le fil d'Ariane, se présente à l'infini dans les milieux de la recherche-innovation aussi bien que ceux de l'expression artistique. Mais pour n'en donner qu'un exemple parmi les plus originaux, pourquoi ne pas évoquer les carnets de Fabienne Verdier, peintre-calligraphe aux sources d'inspiration trans-culturelles, qui se livra en 2013 à l'expérience de devoir re-visiter les Primitifs flamands (Musées Groeninge de Bruges et Erasme d'Anderlecht). Exemple choisi à dessein pour ne pas perdre de vue la correspondance ontologique des univers scientifique et artistique quand surgit l'inspiration.

Les petits carnets à trésors de Fabienne Verdier
Donc Fabienne Verdier, face aux tableaux de Jan van Eyck ou de Rogier van der Weyden, choisit de graver les sursauts de son inspiration sous la forme journalière et aléatoire du carnet d'artiste (Voir: Fabienne Verdier et les maîtres flamands, Ed. Albin Michel, 2013). Elle, qui s'est vouée plutôt à la peinture abstraite, graphique et puisant à l'énergie primordiale du Qi des anciens lettrés chinois, la voilà qui produit des carnets destinés à recueillir l'effet de sa rencontre avec la peinture flamande. C'est donc un choc culturel, comme il en est régulièrement question au travers de ce blog. On y trouve, à côté des images dérivées de son exposition répétée à l'une ou l'autre grande oeuvre de la Renaissance, tous les errements de sa pensée qui se démultiplient en résonances dans les diverses autres cultures qui l'habitent. "Le caractère immédiat de la perception me fascine, tu vis et revis là, l'ici et maintenant total!" ne peut-elle s'empêcher de dire. Mais en même temps, l'expérience fulgurante qu'elle décrit demande, pour être traduite en carnet, un foisonnement inouï de diverticules et de représentations enchaînés par associations d'idées. Voici ce qu'en dit Alexandre Vanautgaerden:
- Ces minces cahiers privilégient le charme des commencements, dialogue fécond entre textes, diagrammes et images.
- un itinéraire impromptu, qui plonge dans l'ivresse des formes, le buissonnement des fractales ou l'arborescence du corail.
- des notes précieuses qui voisinent avec les joies de la contemplation de l'éphémère, de l'infiniment petit ou de l'étrangeté de la merveille.
- réservoir de trouvailles ou petit chaos du jour où ne manque pas l'humour.
- une topographie spirituelle, le cheminement du visible vers l'invisible.
la co-présence de langues multiples fait naître de surprenants stolons: Fabienne Verdier établit des correspondances sensibles pour exposer l'infinie richesse de l'idée qu'à chaque fois on peut se faire d'un mot.
 - l'image du labyrinthe permet à Fabienne Verdier d'introduire du discontinu, des bifurcations inattendues, du jeu.
Et Fabienne Verdier de s'exclamer elle-même: "Plonge-toi au coeur des mutations. N'aie pas peur de faire face à l'inconnu!"



Les errances opportunes du jeune prince de Serendip
La pensée arborescente, commune aux scientifiques et aux artistes inspirés, modélise de manière amusante un parcours de "sérendipité". La sérendipité (voir Pek van Andel et Danièle Bourcier, L'Act Mem, 2009; ou Sylvie Catellin, Le Seuil, 2014)  est la capacité à découvrir, inventer, créer ou imaginer quelque chose de nouveau sans l'avoir cherché, à l'occasion d'une observation surprenante et peut être déstabilisante, pourvu que celle-ci finisse par révéler sa propre logique (référence au mythe du prince de Ceylan).
Chaque bifurcation homophonique de notre petite comptine (introduction ci-dessus) nous jette à la face un nouveau concept sans rapport avec l'énoncé qui le précède, sauf qu'il nous appartient à nous de lui donner un sens particulier qui, dans ce petit jeu enfantin, utilise la clé d'une nouvelle homophonie.



Dans la vie réelle, et davantage encore dans la vie de toute personne créative, les trajectoires de sérendipité sont non seulement fréquentes, mais elles peuvent être délibérément valorisées. Une expérience donne-t-elle un résultat aberrant? Loin d'y voir un échec, le chercheur (scientifique ou artiste) en saisira l'opportunité pour mettre éventuellement à jour l'intervention de tel ou tel facteur occulte, agissant à son insu sur l'objet de son attention. Mais il y a aussi une sérendipité de situation, comme on dirait au théâtre "un comique de situation". S'il évolue dans le milieu académique, le chercheur doit faire face à de vigoureuses concurrences pour gagner la reconnaissance des pairs, où s'exercent de violents rapports de forces et se produisent de fortes tensions inter-personnelles. Il apprend vite que les situations inconfortables générées par l'environnement du laboratoire et ses codes impitoyables ne sont pas nécessairement des menaces, mais plutôt des occasions de détours et de percées plus audacieuses. C'est alors que les surprises de la sérendipité viennent lui offrir sa chance de faire la différence. C'est de cela qu'il s'agit: faire la différence !

Jouer à faire ses écarts, sauf d'en être soi-même le jeu?
Pour finir, tout semble donc se jouer à la charnière de ces fameuses bifurcations. Pour introduire un élément extérieur, celui d'éventuelles rencontres insolites ou d'inspirations ingénues, posons les questions suivantes et abordons-les par les retours d'expérience chez nos participants:
- un parcours de chercheur (scientifique ou artiste) fait-il une juste place aux remises en question, aux imprévus, changements de cap et réajustements?
- et qui en a la maîtrise? Le destin aveugle, à moins que l'intéressé ne provoque lui-même le saut de palier? Ou serait-il plutôt lié à la rencontre, au sourire d'une influence extérieure, ou de je ne sais quelle révélation catalytique?

Notre comptine du début ne produit pas autre chose chez l'enfant qui s'y attèle: familiariser celui-ci avec la bizarrerie du monde qui l'entoure.

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