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13/05/2017

L'ivresse des frontières

Parfois, il nous arrive d'oublier que nos petites discussions doivent finalement nous conduire à Houffalize, le 28 septembre. Or, vous auriez tort de croire au hasard, et de passer un peu vite sur ce que vous alliez considérer comme un simple concours de circonstances. Pourquoi Houffalize, au coeur du massif ardennais? Les uns verront, dans ce lieu de notre prochain rassemblement, ni plus ni moins qu'une province reculée de la Belgique. Mais d'autres (et je voudrais vous inviter à cette observation) ne manqueront pas de noter la valeur symbolique qu'il est possible d'attacher à ce lieu à peu près inconnu, par le simple fait qu'il est une charnière des nations européennes. Imaginez que 5 sur les 6 pays fondateurs des Communautés européennes se retrouvent ici à un jet de pierre (ou presque) les uns des autres. C'est tout simplement bluffant.


Connaissez-vous beaucoup d'endroits qui soient entourés de 4 frontières dans un mouchoir de poche? C'est un peu comme si Paris était enserré par 4 frontières, et que l'on parlait le néerlandais à partir de Chantilly, l'allemand à partir de Meaux, le luxembourgeois dès Corbeil-Essonne et le français au-delà de Saint-Germain-en-Laye. Houffalize n'est en effet qu'à 8 km du Luxembourg, 22 km de l'Allemagne, 63 km de la France et 69 km des Pays-Bas. Exprimé autrement, c'est comme si l'un des plus petits départements français incluait dans son périmètre les enclaves de 5 nations européennes contigües. Grisant, non? 


Pourquoi serait-ce tellement grisant? Eh, bien: je fais appel à la capacité émotive de chacun. César a franchi le Rubicon, certes.  Mais à quel moment se situait chez lui et ses hommes le sentiment bien prévisible de l'exaltation, de la question ou du doute? Précisément pendant la traversée, au moment de n'être déjà plus en-deçà, mais pas encore au-delà. Donc, exactement dans le vertige d'être en train de traverser une frontière, troublé à l'idée de se retrouver borné à une seule fatalité, étreint d'un inévitable sentiment d'inachèvement.


Sans fomenter les mêmes desseins inavouables que pouvait concevoir alors Jules César, chacun s'est trouvé une fois ou l'autre au milieu d'un gué ou sur la corde raide. Il paraît que c'est un exercice salutaire. Sans aller jusqu'à en faire une thérapie, je me contente de mettre en discussion la vertu du vide médian ou de l'entre-deux, l'instant fugace où l'on vit l'illusion de prendre appui sur deux milieux à la fois. Le moment du grand écart, quand s'ouvre à nos yeux étonnés la possibilité de rejoindre deux mondes, de faire en sorte que ces deux mondes existent simultanément pour soi.



C'est une expérience qui peut être bouleversante, et que connaissent plus naturellement les randonneurs et les aventuriers par exemple (ne parlons pas des travailleurs frontaliers, pour qui le grand écart est un exercice quotidien entré dans la banalité). Qui n'a pas déjà joui de l'exaltation de pouvoir poser un pied dans un pays et l'autre dans le pays voisin, surtout quand on arrive au terme d'une ascension vers un col ou un sommet? Qui n'a pas tenté, ou au moins rêvé, de mettre un pied en Europe et l'autre en Asie au franchissement d'un pont sur le Bosphore? Qui n'a pas cédé au plaisir typiquement islandais de prendre pied dans le  "graben" du rift médio-atlantique entaillé de failles, d'où s'écartent les deux plaques tectoniques de l'Amérique du Nord et de l'Eurasie? Combien sont ceux, heureux et fortunés, qui ont baroudé dans les Alpes Rhétiques, pour réaliser qu'ils piétinaient des hautes terres, dont les différents versants basculaient simultanément vers la Mer du Nord, la Méditerranée et la Mer Noire. Un endroit magique où une même pluie est capable ponctuellement d'alimenter en eau les 3 grands bassins du Rhin, du Po et du Danube, constitutifs de l'Europe dans toute son extension ...


Où est-ce que je veux donc en venir? C'est d'abord le moment de rendre la parole à certains parmi nos panellistes, puisqu'il en est qui se sont largement familiarisés avec les voyages au long cours et le franchissement de frontières. Comment s'est exprimée chez eux la sensation du vide médian? Qu'ils parlent donc ! Ensuite, vous n'aurez guère de mal à me suivre dans une déclinaison des versions métaphoriques du grand écart.

Quittant la frontière située dans l'espace, une transposition dans un cadre temporel se conçoit aisément. La position qui consiste à avoir un pied dans le passé et l'autre dans le futur prend souvent un sens initiatique. Pensons à la célébration du Nouvel An, aux rites de passage vers l'âge adulte, ou simplement à l'impact que les levers et les couchers de soleil peuvent avoir sur nos esprits. La métaphore fait son chemin et peut nous renvoyer au sujet même de notre Table Ronde, si l'on veut bien penser à l'importance des césures dans nos parcours personnels, à l'élargissement du regard quand deux personnes dépassent leurs différences dans une discussion controversée, aux enfants embellis par la double culture de parents allochtones, à tous les efforts pour jeter de nouveaux ponts ou abattre des murs irrationnels. Aujourd'hui, pour un entretien d'embauche, on ne vous  demande plus quels sont vos diplômes; on vous demande plutôt: combien de frontières avez-vous déjà franchies?





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